Les tablettes de bambou du tombeau
de la dynastie Han du mont Laoguan (lao guan shan 老官山)
Abel Gläser, Institut Liang Shen de Médecine Chinoise
En 2012, lors des travaux de construction de la ligne 3 du métro de Chengdu, il a été découvert un tombeau de l'époque des Han Occidentaux (西汉) (de 202 A.V.J.-C. à l'an 9). Une équipe d'archéologue s'est constitué pour effectuer les travaux de mise à jour et de sauvegarde des vestiges de juillet 2012 à août 2013.
Dans cette tombe il a été découvert 920 tablettes de bambou, toutes recouvertes d'inscription à contenu médical, une partie de ces ouvrages médicaux serait très probablement une transmission des ouvrages classiques perdus de l'école médicale du légendaire Bian Que [1].
1. Présentation
La tombe des Han du mont Laoguan de Chengdu se trouve dans le village Tianhui (天回镇) du district Jinniu (金牛区) de la ville de Chengdu. L'équipe d'archéologue en charge de l'excavation, du sauvetage et de l'étude des tombes ont mis à jour 4 cercueils en bois, dans lesquels en tout se trouvaient plus de 620 objets, dont des récipients en bois laqué, des poteries et céramiques, des ustensiles en bronze et en fer, etc.
Les tablettes de bambou à contenu médical, appartiendraient à une période se situant entre l'époque des livres médicaux de Ma Wang-dui (tombeau exhumé en 1973 dans la province du Hunan) et l'époque de production du fameux classique de médecine chinoise, le Huangdi Neijing (黄帝内经). Les neuf ouvrages médicaux écrits sur des tablettes de bambou sont tous à caractère médical et concernent la pathogénie, la symptomatologie, la pulsologie, l'acupuncture, la pharmacopée, etc. Leur valeur scientifique est considérable.
2. Contenu des tablettes de bambou
Dans le tombeau de l'époque Han du mont Laoguan il a été découvert 620 objets (sans compter les tablettes de bambou), parmi lesquels plus de 240 ustensiles en laque, plus de 130 céramiques, plus de 140 ustensiles en bois et une centaine d'objets en bronze (y compris les pièces de monnaie). Par ailleurs, dans la tombe numéro 1 il a été exhumé 50 tablettes de bois, qui en fonction du contenu ont été séparées en documents officiels et en documents traitants de techniques de magie (巫术). Les documents officiels fournirons une documentation très importante pour l'étude du système fiscal de l'époque des Han Occidentaux.
Dans la tombe numéro 3 il a été exhumé 920 tablettes de bambou, qui ont été séparées en deux en fonction de l'emplacement de dépôt : au niveau du repère 3-121 il y avait 736 tablettes (comprenant les tablettes abimées), qui en fonction de leur longueur, de leur positionnement, de leur séquencement, de leur stratification et de leur contenu ont été divisées en neuf ouvrages médicaux ; au niveau du repère 3-137 il y avait 184 tablettes (comprenant les tablettes abimées) dont le contenu traite de médecine vétérinaire équine. Dans cette tombe numéro 3 il a également été déterré une figurine laquée intacte représentant les méridiens et les points d'acupuncture.
Les neuf ouvrages médicaux semblent être confirmés comme étant des ouvrages médicaux de l'école de Bian Que (扁鹊). Les spécialistes se basent sur le nom d'un médecin cité à l'intérieur de l'ouvrage et qui se nomme Bi Xi (敝昔), qui serait selon eux des caractères interchangeables (tong jia 通假) pour Bian Que. Hypothèse rejetée par certain qui considèrent que ces caractères ne sont pas interchangeables et que donc ils considèrent comme peu probable que ces écrits soient de Bian Que, même si cela n'enlève pas de valeur à ces documents. De plus, sur la figure des méridiens et des points sont également gravés des petits caractères désignant les organes, cœur, poumon, etc.
3. Description détaillée
3.1. Les tablettes de bambou
Dans la tombe numéro 3, les 920 tablettes de bambou révèlent un contenu inconnu jusqu'alors. Les neuf ouvrages recomposés à partir de ces tablettes n'ont pas été publié par la suite à la lumière des connaissances actuelles, et il n'en est fait aucune mention dans les documents historiques connus de nos jours. Selon les archéologues, seul un des neuf livres avait un titre déjà mentionné. Ce livre s'intitulait Wuse Maizhen (五色脉诊 « Le Diagnostiques par les Cinq Couleurs [du teint] et les Pouls »). Les autres livre n'ayant pas de titre, lors de la phase initiale de l'arrangement des ouvrages, les chercheurs ont déterminés un titre pour ces huit ouvrages comme suit : Bi Xi Yi Lun (敝昔医论 « Traité médical de Bian Xi »), Mai Si Hou (脉死侯), Liushi Bingfang (六十病方 « Les formules pour les soixante maladies »), Chijian (尺简 « Tablettes en bambou longue d'un Pied »), Bing Yuan (病源 « Origine des Maladies »), Jingmai Shu (经脉书 « Livre des Méridiens et des Vaisseaux »), Zhubing Zhenghou (诸病症候 « Symptomatologie de Toutes les Maladies »), et Maishu (脉数 « Enumération des Pouls »). Par ailleurs, 184 tablettes de bambou composent un ouvrage qui a été intitulé Yima Shu (医马书 « Livre de Médecine Vétérinaire Équine »).
3.2. La figurine en laque avec les méridiens et les vaisseaux (jing mai)
Dans la tombe 3 a été également découvert une figurine en laque représentant les méridiens et les vaisseaux (jing mai) du corps humain. La figurine fait 14 centimètres de hauteur. On peut voir clairement sur celle-ci représenté par des traits blancs ou des traits rouges les méridiens et les point d'acupuncture. De plus, à certain endroit sont gravés les caractères cœur (xin 心), poumon (fei 肺), reins (shen 肾), etc.
La figurine en laque et la grande quantité d'ouvrages médicaux exhumés de la même tombe laissent penser que le personnage enterré là pratiquait très probablement la médecine et peut-être l'enseignait. Il s'agit de la figurine représentant un modèle des méridiens et des points d'acupuncture la plus ancienne découverte en Chine, c'est également la mieux conservée. Elle est d'une très grande importance dans la compréhension des origines des théories acupuncturales en Chine. Cette figurine démontre également que très tôt sous les Han Occidentaux l'acupuncture et la médecine chinoise formaient déjà corpus théorique complet.
4. Contenu des tablettes
Wu Jia-bi, chercheur au centre de conservation culturelle de Jingzhou, et He Zhong-jun chercheur en documentation historique de médecine chinoise à l'Université de médecine chinoise de Chengdu, qui ont dirigé les recherches sur les tablettes de bambou ont effectué une première analyse du contenu des tablettes. Celui-ci concerne la médecine interne, la médecine externe, la gynécologie, la dermatologie, les cinq organes des sens (ophtalmologie, oto-rhino-laryngologie, stomatologie), traumatologie, etc. et également la médecine vétérinaire équine. Wu Jia-bi insiste sur le fait que les ouvrages mis à jour cette fois-ci sont très probablement des classiques de l'école de Bian Xue. He Zhong-jun indique que la figurine laquée et les formules d'herbes inscrites dans les ouvrages donnent à cette découverte une valeur bien supérieure aux ouvrages de Ma Wang-dui.
Les neuf ouvrages exhumés ont chacun leur particularité : par exemple le Bi Xi Yi Lun traite des relations entre les colorations du teint, les pouls et les organes et entrailles et leurs pathologies ; le Mai Si Hou traite des relations entre les manifestations des pouls, les maladies et la mortalité, le Liu Shi Bing Fang présente 60 formules qui traitent des maladies de médecine interne, médecine externe, gynécologie, dermatologie, etc. ; le Bing Yuan traite de la pathologie ; le Zhubing Zhenghou, qui regroupe 268 tablettes de bambou, traite des formules d'herbes et de théories médicales pour une grande part du contenu, y compris des théorie des méridiens et de la symptomatologie...
5. Interprétation des experts
5.1. Valeur supérieure aux ouvrages de Ma Wang-dui
Auparavant, il y a avait eu les documents médicaux déterrés dans les tombes de Ma Wang-dui et les tombes de Zhang Jia-shan. Mais les documents découverts dans le tombeau du village de Tianhui près de Chengdu sont le plus en rapport avec la médecine chinoise. De plus, au niveau de l'histoire de la médecine chinoise il s'agit du nombre le plus important et le plus concentré jamais découvert en un lieu. Dans le tombeau de Ma Wang-dui, une grande part du contenu est assez primitive et en rapport avec les techniques de magies (wu shu 巫术), les formules sont des prescriptions simplistes surement issues d'un usage populaire, ce sont des formules d'expérience. Les formules de Tianhui à Chengdu, semblent plus accomplies, ce qui fait que l'ensemble de ces tablettes, au niveau historique de la médecine chinoise, sont d'une valeur supérieure à celles de Ma Wang-dui.
5.2. Formules anciennes
Jusqu'alors, dans les 20 000 caractères des tablettes concernant l'aspect médical de Ma Wang-dui, la plus grande partie ne sépare pas la médecine (yi 医) et la magie (wu 巫), la plupart des formules sont des formules simplistes, qui ne sont plus utilisées par la médecine chinoise contemporaine. Dans le tombeau du mont Laoguan, sur les tablettes de Tianhui, hormis les formules classiques (jing fang 经方), il y a aussi de nombreuses formules contenant de nombreuses herbes et des combinaisons de formules, ce qui démontre qu'à cette période là la médecine chinoise s'était déjà développée indépendamment et avec un niveau de connaissances relativement haut. Sur l'ensemble des tablettes découvertes à Tianhui on comptabilise en tout un peu plus de 20 000 caractères chinois.
5.3. Le poivre du Sichuan, huajiao, rentre dans la pharmacopée pour traiter la goutte (teng feng 痛风)
« Les huit [herbes] pour traiter le vent : [chi]shizhi 7 fen, shujiao [huajiao] 5 fen, fangfeng 4 fen, xixin 4 fen, houpo 5 fen, wuzhuyu 1 fen, gui [guizhi ou rougui] 10 fen, jiang [shengjiang ou ganjiang] 6 fen. Les mélanger ensemble ». Ce passage est issu du Liushi Bingfang (六十病方).
L'inscription sur cette tablette indique clairement l'utilisation de huajiao, le poivre du Sichuan, en tant qu'herbe médicinale, ce qui dénote d'une particularité propre au Sichuan. Cette herbe est également présente dans certaines formules, notamment certaines formules classiques comme Wu Mei Wan (du Shanghan Lun) [2], Da Jian Zhong Tang (du Jingui Yaolüe) [3].
5.4. L'urine de bœuf jaune pour traiter l'ictère
« Pour traiter l'ictère, prendre de l'urine de bœuf jaune (huang niu niao 黄牛尿), en application externe » (Liushi Bingfang 六十病方).
Bien que de nos il n'y ait plus ce genre de traitement, faute de, soit disant, preuves scientifiques, il s'agit d'une méthode populaire ancienne pour traiter l'ictère.
5.5. Composition classique des formules
Sur ces tablettes, les formules sont inscrites selon le mode suivant : nom des herbes, posologies, mode d'administration. Par ailleurs les formules semblent suivre le modèle des formules classiques et les théories de base de la pharmacopée, en utilisant l'empereur (jun 君), le ministre (chen 臣), l'assistant (zuo 佐) et l'ambassadeur (shi 使) et la structure de base de la médecine chinoise classique qui est d'effectuer le traitement en fonction d'une différenciation de syndrome (bian zheng lun zhi 辨证论治). He Zhong-jun dit que de nombreuses formules inscrites dans ces livres sont encore utilisées de nos jours. Ce qui n'apparaissait pas dans les formules découverte dans le tombeau de Ma Wang-dui.
6. Signification et valeur
6.1. Confirmation de l'existence d'une école de Bian Que indépendante à Chengdu
He Zhong-jun explique que le Liushi Bingfang (六十病方) des tablettes de Tianhui et le Wushi'er Bingfang (五十二病方) de Ma Wang-dui sont assez similaires. Dans le Liushi Bingfang l'herbe huajiao apparait fréquemment, tout comme fangfeng, houpo, etc, qui sont des herbes typiques de la province du Sichuan. La présence d'herbe propre au Sichuan sur ces tablettes corrobore le fait que très tôt au début des Han Occidentaux, la pharmacopée sichuanaise (chuan zhong yao 川中药) était communément entrée dans la pharmacopée chinoise pour le traitement des pathologies, ce qui confirme l'existence d'une transmission d'un courant médical indépendant à Chengdu, et qui atteste que Fu Weng (涪翁), Cheng Gao (程高) et Guo Yu (郭玉) [4] des Han Orientaux, qui utilisaient typiquement le diagnostique par les pouls, sont les héritiers de l'école médicale de Bian Que.
6.2. Séparation de la médecine et de la magie dès les Han Occidentaux
Les ouvrages médicaux de Ma Wang-dui sont plus anciens que ceux de Tian-hui, mais la magie et la médecine ne sont pas séparées. Il est à noter que dans le tombeau de Chengdu les tablettes de bambou à contenu de techniques magiques et de sorcellerie (wu shu 巫术) sont séparées des tablettes à contenu médical. Les tablettes à contenu médical n'ont quasiment pas de contenu à caractère magique, ce qui atteste qu'à l'époque des Han Occidentaux la médecine et la magie étaient déjà deux choses séparées, ce qui indique que la médecine chinoise a suivi une voie de développement indépendante.
6.3. Recherche de l'origine de l'école de Bian Que
Bian Que est l'ancêtre de la médecine et des formules, il est illustre pour son diagnostic par le pouls. Il semblerait que Bi Xi (敝昔) (le nom du médecin inscrit sur les tablettes trouvées à Chengdu) soient des caractères interchangeables du nom Bian Que (扁鹊), ainsi cela désignerait Bian Que comme étant le fondateur des méthodes de diagnostic par le pouls. Sur les tablettes qui forment le Wuse Maizhen (五色脉诊) sont clairement inscrites les méthodes pour inspecter les maladies à partir des pouls et du teint. Par exemple, il est inscrit : « le qi du cœur correspond au teint rouge, le qi du poumon correspond au teint blanc, le qi du foie correspond au teint vert, le qi de l'estomac correspond au teint jaune, le qi des reins correspond au teint noir, c'est pourquoi on utilise le qi et le teint des cinq organes.... ». À partir du pouls et du teint comme diagnostic, inférer les symptômes et la maladie est une des caractéristiques marquante des théories de pulsologie de l'école de Bian Que.
Il y a toujours eu de nombreux de débats au sujet de l'histoire médicale de Bian Que, au point que certains considèrent qu'il s'agit d'un personnage mythique puisqu'en effet il n'y a quasiment pas de document légués par Bian Que et transmis jusqu'à nos jours. Si ces tablettes peuvent permettre de confirmer qu'il s'agit des théories médicales de Bian Que, alors leur découverte est capitale.
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Notes :
[1] Bian Que (扁鹊), aussi appelé Qin Yue-ren (秦越人), a vécu de 407 à 310 av. J.C., il est l'auteur présumé du Nanjing (难经) (Huangdi Bashiyinan Jing 黄帝八十一难经), célèbre ouvrage qui reprend et explique des passages importants du Neijing.
[2] Wu mei wan : Wumei, xixin, ganjiang, huanglian, danggui, shujiao [huajiao], guizhi, renshen, huangbai
[3] Da Jian Zhong Tang : Huajiao, ganjiang, renshen, yitang
[4] Ces trois personnages sont des médecins fameux de l'époque des Han Orientaux (25-220), présumés successeurs de l'école médicale de Bian Que. Fu Weng a écrit le Zhen Jing (针经 « Classique d'Acupuncture ») et le Zhenmai Fa (诊脉法 « Méthodes de Diagnostic par les Pouls »), mais tous ces ouvrages ont été perdus. Il semblerait que Fu Weng soit le maitre de Cheng Gao, qui lui même fut le maitre de Guo Yu.
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