Le jeûne (bi gu) dans la médecine chinoise

par le Dr Abel Gläser
(Docteur de l’Université de Médecine Chinoise de Chengdu, Chine)


 Résumé : Cet article discute de la notion du jeûne chinois, bi gu (辟谷), en examinant ce qu’il en est dit dans la littérature ancienne, en observant comment le Nei Jing et le Nan Jing expose cela, en mentionnant quelques méthodes de Sun Si-miao pour initier un jeûne, en discutant de la spécifcité des céréales, en présentant quelques biscuits médicinaux (er 饵 ), en évoquant l’eau et les techniques respiratoires, en abordant l’inédie et le rôle de la pratique spirituelle dans le jeûne, en mentionnant les trois esprits mortifères, et, pour fnir, en parlant des différents types de jeûnes, du jeûne thérapeutiques et des mécanismes d’action du jeûne selon la science moderne.
    Mots clés : Jeûne en médecine chinoise, bi gu ( 辟 谷), abstinence des céréales, jeûne taoïste, inédie, biscuits médicinaux (er 饵), trois esprits mortifères (san shi 三尸).

Défnition du jeûne (bi gu)
     Le jeûne en chinois se dit « bi gu (辟谷/辟穀) » parfois prononcé « pi gu ». Le caractère « bi (辟) » est synonyme de « bi ( 避) » qui signife « éviter, renoncer, abandonner ». Le caractère « gu ( 谷/ 穀) » désigne les « céréales », les « grains », et, par extension, il signife aussi « nourriture », « survivre »,
« entretenir », « nourrir », etc. Dans les anciennes administrations impériales ce caractère désignait aussi le salaire d’un fonctionnaire (qui était payé en grains justement).
     Littéralement, il s’agit « d’arrêter de consommer des céréales », et de manière plus large, il s’agit
« de renoncer à consommer toute sorte de nourriture ». D’après le Grand Ricci, le « bi gu (辟谷) » est « une pratique de jeûne consistant à cesser de se nourrir des cinq céréales (riz, millet, blé, avoine et haricots) qui sont responsables de la pourriture des cinq viscères ».
     Dans la littérature taoïste, d’autres termes sont parfois utilisés, comme « duan gu ( 断 谷) »
(« interrompre les céréales ; rejeter la nourriture »), « jue gu (绝谷) » (« cesser de manger »), « que gu (却谷) » (« arrêter de manger »), « xiu liang (休粮) » (« s’abstenir de nourriture »), etc.
     Le jeûne (bi gu) est une des techniques de la pratique de l’ascèse taoïste ayant pour but la recherche de l’immortalité, ou du moins ayant pour objectif un perfectionnement spirituel. Le dictionnaire étymologique Ci Yuan (辞源, 1915) défnit le jeûne (bi gu) ainsi : « Il s’agit d’une appellation ancienne qui consiste à subsister en utilisant les techniques de daoyin (导引)(1) et en ne consommant pas les cinq céréales (wu gu) afn que le pratiquant taoïste devienne un sage. Ceci a été rallié aux techniques pour entrer dans la Voie des immortels taoïstes ». (古称行导引之术,不食五谷,可以长生,道家方士,乃附会为神仙入道之术).

Mentions du jeûne dans la littérature chinoise classique
    Dans la littérature chinoise ancienne on retrouve cette abstinence des céréales ( bi gu 辟谷) qui est une technique d’entretien de la santé issue des pratiques taoïstes de la dynastie des Qin antérieurs (Xian Qin 先 秦, 2100 à 221 avant notre ère) et qui consiste à ne pas consommer de céréales, à faire des monodiètes, ou même à ne consommer aucun aliment, tel un jeûne, mais parfois sur des périodes très longues, à la manière d’une inédie (abstinence absolue et prolongée de toute nourriture et parfois de toute boisson).
    De nombreuses mentions en sont faites dans la littérature ancienne, par exemple dans le premier chapitre du Zhuangzi ( 庄 子- 逍遥游, 4ème siècle Av-J.C.) il est inscrit que des sages vivant dans les montagnes :
« Ne consomment pas les cinq céréales, respirent le vent et boivent la rosée, ils chevauchent le qi des nuages, montent des dragons volants, et voyagent par delà les quatre mers… ». (不食五谷,吸风饮露,乘云气,御飞龙,而游乎四海之外).
    Dans le chapitre Fang Ji Chuan ( 方技传) de l’Histoire des Song ( 宋 史, 1345), il est mentionné certains personnages qui jeûnaient :
« Il ne mange pas, il est vigoureux et lucide. À chaque fois qu’il sent l’odeur de la nourriture passée au feu, il a des nausées. Il consomme seulement des fruits crus et de l’eau de source. » (不食,神气清爽,每闻火食气即呕,唯生果,清泉而已).
    Et encore :
« Il avait plus de cent ans, il excellait dans la pratique du jeûne et du cri long, et il buvait seulement de l’alcool. » (年百余岁,善辟谷长啸,唯饮酒).
Dans le rouleau 13 du Qianjin Yifang (千金翼方), intitulé Jeûne [/Abstinence des Céréales] (bi gu 辟谷) Sun Si-miao (2) inscrit de nombreuses méthodes pour initier l’abstinence des céréales, par exemple :
« Méthode pour jeûner (jue gu) et devenir immortel [/pratiquer le taoïsme] (sheng xian) et ne plus manger : prendre des pignons de pin (songshi) et les moudre. En administrer 3 ge [60 ml] 3 fois par jour, ainsi il n’y a plus la sensation de faim. Boire de l’eau et ne pas consommer d’autres aliments. Après cent jours le corps est léger, en une journée on peut marcher 500 li [soit 150000 pas, environ 90 km], on jeûne (jue gu) et on devient immortel. » (3) (绝谷升仙不食法∶取松实末之,服三合,日三,则无饥。渴饮水,勿食他物,百日身轻,日行五百里,绝谷升仙).
     Ou une recette de sirop (gao) :
« Xian Fang Ning Ling Gao (Recette Magique du Sirop pour Condenser l’Esprit) : fuling 36 jin [9000 g], songzhi 24 jin [6000 g], songren 12 jin[3000 g], baiziren 12 jin [3000 g]. Prendre les quatre substances médicinales ci-dessus, les préparer en les pilant et en les tamisant. Mettre 2 shi et 4 dou [48 L] de miel blanc dans un récipient en cuivre et le faire cuire à petit feu pendant un jour et une nuit. Ensuite incorporer les herbes médicinales, mélanger jusqu’à rendre homogène, remettre sur un très petit feu pendant sept jours et sept nuits et arrêter. On peut en faire des pilules ( wan) de la taille d’une petite jujube. Administrer 7 pilules 3 fois par jour. Si on souhaite pratiquer le jeûne (jue gu), administrer en une fois [une dose] jusqu’à être complètement rassasié, alors on n’aura plus faim, le corps sera léger, la vue sera claire, le vieillard va rajeunir, et après douze années on devient immortel. » (仙方凝灵膏∶茯苓(三十六斤) 松脂(二十四斤) 松仁(十二斤) 柏子仁(十二斤)。上四味,炼之捣筛,以白蜜两石四斗纳铜器中微火煎之,一日一夜,次第下药,搅令相得,微微火之,七日七夕止。可取丸如小枣,服七丸,日三;若欲绝谷,顿服取饱,即不饥,身轻目明,老者还少,十二年仙矣).
    Ou encore deux recettes d’alcoolatures (jiu) :
« Wu Jing Jiu (Alcoolature des Cinq Essences) traite les myriades de maladies, elle noircit à nouveau les cheveux blancs et elle fait repousser les dents qui sont tombées. Huangjing 4 jin [1000 g], tianmendong 3 jin [750 g], songye 6 jin [1500 g], baizhu 4 jin [1000 g], gouqizi 5 jin [1250 g]. Prendre les cinq produits ci-dessus crus [/non préparés], les mettre dans un chaudron, utiliser 3 shi [60 L] d’eau, cuire pendant une journée, enlever les résidus [des herbes] et utiliser le jus pour faire tremper dedans un levain ( qu) selon la même méthode que pour faire fermenter l’alcool familial. Lorsque l’alcool est maturé, récupérer la partie claire et boire à sa guise. Après une dose [de cette formule] on acquiert la longévité. » (五精酒主万病,发白反黑, 齿落更生方∶ 黄精(四斤) 天门冬(三斤) 松叶(六斤) 白术(四斤) 枸杞(五斤)。上五味皆生者,纳釜中,以水三石煮之一日,去滓,以汁渍曲如家酝法。酒熟取清,任性饮之,一剂长年).
« Bai Zhu Jiu (Alcoolature de Bai Zhu) : Baizhu 25 jin [6250 g]. Prendre le produit ci-dessus et le concasser. Utiliser 2 shi et 5 dou [50 L] d’eau qui coule vers l’Est et mettre à tremper dans un récipient qui ne fuit pas. Après 20 jours enlever les résidus [des herbes] et mettre le jus dans un gros pot. La nuit lorsqu’il y a des étoiles flantes, écrire son nom et prénom et le placer dans le pot. Faire ainsi pendant 5 nuits. Le jus va devenir [rouge] comme du sang. On le prend pour faire tremper dedans un levain ( qu) selon la même méthode que pour faire fermenter l’alcool familial. Lorsque l’alcool est maturé, récupérer la partie claire et boire à sa guise. Après 10 jours, les myriades de maladies sont éliminées ; après 100 jours les cheveux blancs redeviennent noirs, les dents tombées repoussent et le teint devient brillant. En l’administrant longtemps on acquiert la longévité. »
(白术酒方∶白术(二十五斤)。上一味,咬咀,以东流水两石五斗不津器中渍之,二十日去滓,纳汁大盆中。
夜候流星过时,抄己姓名置盆中,如是五夜。汁当变如血。取以渍曲,如家酝法。酒熟取清,任性饮之。十日万病除;百日白发反黑,齿落更生,面有光泽。久服长年).
    Dans le rouleau 55 des Mémoires Historiques (Shi Ji 史记), Sima Qian (司 马 迁, 145 av. J.-C.-86 av. J.-C.) relate :
    « Le marquis de Liu, de par sa constitution, avait de nombreuses maladies, alors il pratiqua le daoyin, il jeûna [/ne mangea plus de céréales] et resta enfermé chez lui sans sortir pendant plus d’un an. » (留侯性多病,即导引不食谷,杜门不出岁余).
    Pei Yin ( 裴骃, 5ème siècle), dans son commentaire sur les Mémoires Historiques (Shi Ji), inscrit à propos de cette phrase :
« Il ingérait des remèdes (yao) pour jeûner (bi gu), se reposait tranquillement et faisait circuler le
qi dans son corps.
 » (服辟谷之药,而静居行气).
    Il est intéressant de constater que le « jeûne (bi gu) » dans la Chine antique n’est pas nécessairement une abstinence totale de nourriture. Il peut s’agir d’une monodiète (de fruits secs, de fruits frais, d’herbes médicinales en sirop, de biscuits thérapeutiques, etc.) ou même de la seule consommation d’alcoolatures médicinales !
    On peut aussi constater que ce jeûne chinois bigu, cette abstinence des céréales, pourrait être à rapprocher de la diète cétogène (régime alimentaire à très basse teneur en céréales et glucides, compensé par un augmentation des lipides) assez à la mode de nos jours, autant en Occident qu’en Chine.

L’appareil digestif selon le Nei Jing
    Dans les ouvrages médicaux chinois anciens, il n’est pas fait mention du jeûne. Pourtant les médecins de l’époque connaissaient parfaitement le système digestif d’un point de vue an atomique et fonctionnel. Dans le chapitre 31 du Ling Shu, il est dit :
    « Huangdi demanda à Bo Gao : “J’aimerais entendre la transmission des céréales dans les six entrailles. Qu’en est-il de la grosseur de l’estomac et des intestins [/du tractus digestif] ? Combien peuvent-ils recevoir de céréales ?”. » (黄帝问于伯高曰:余愿闻六府传谷者,肠胃之大小长短,受谷之多少奈何?).
    À cette question, Bo Gao répondit en donnant des mesures précises de longueur, de profondeur, de contenance, de poids, etc., concernant la bouche, les dents, la langue, l’isthme oro-pharyngé, l’estomac, l’intestin grêle, l’iléon et le gros intestin.
    Dans le chapitre 32 du Ling Shu, sont aussi présentées les mesures anatomiques de l’estomac, de l’intestin grêle, de l’iléon, du gros intestin ainsi que leur contenance en céréales et en eau :
    « Huangdi demanda : “J’ai entendu dire que l’être humain qui ne mange plus meurt en sept jours.
Qu’en est-il ?”. »
    « Bo Gao répondit : “Votre ministre est invité à expliquer la raison à cela. L’estomac a une circonférence de 1 chi et 5 cun [environ 34,65 cm], son diamètre est de 5 cun [environ 11,55 cm], il a une longueur de 2 chi et 6 cun [environ 60,06 cm, probablement la longueur de l’estomac + duodénum]. Il peut recevoir 3 dou et 5 sheng de nourriture [environ 7000 ml]. Dans [l’estomac] il peut séjourner habituellement 2 dou de céréales [environ 4000 mL d’aliments] et 1 dou et 5 sheng d’eau [environ 3000 ml d’eau] pour qu’il soit plein (…). L’intestin grêle (…) reçoit 2 dou 4 sheng de céréales [environ 2800 ml d’aliments] et 6 sheng 3 ge et un peu plus de ½ ge d’eau [environ 1260 ml]. L’iléon (…) reçoit 1 dou de céréales [environ 2000 ml d’aliments] et 7,5 sheng d’eau [environ 1400 ml d’eau]. Le gros intestin [surtout la dernière partie, côlon descendant et sigmoïde] (guang chang) (…) reçoit 9 sheng 3 ge et un peu plus de ½ ge de céréales [1860 ml d’aliments]. L’estomac et les intestins [à savoir l’ensemble du tractus digestif] (…) reçoivent 9 dou 2 sheng 1 ge et un peu plus de ½ ge d’eau et de céréales [soit environ 18420 ml de contenance d’eau et de céréales dans tout le tractus digestif]. Ceci est la quantité d’eau et de céréales que peut recevoir l’estomac et les intestins.
 »
    « Chez l’être humain équilibré [/en bonne santé] (ping ren), il n’en est pas ainsi, car lorsque l’estomac est plein, alors les intestins sont vides, et lorsque les intestins sont pleins, alors l’estomac est vide. Il y a alternance de vide et de plénitude, c’est pourquoi le qi peut monter et descendre, les cinq organes sont tranquillisés, les vaisseaux sanguins (xue mai) sont harmonisés et s’écoulent librement, et l’essence (jing) et l’esprit (shen) conservent leur position. Ainsi, l’esprit (shen) est le qi essentiel (jing qi) de l’eau et des céréales [/des aliments et des boissons]. Par conséquent, dans l’estomac et les intestins il peut séjourner 2 dou de céréales [environ 4000 ml d’aliments] et 1 dou et 5 sheng d’eau [environ 3000 ml d’eau]. C’est pourquoi l’être humain équilibré, en une journée, a deux évacuations par jour, et chaque évacuation fait 2,5 sheng [500 ml]. En une journée, il évacue 5 sheng [1000 ml de selles et d’urines]. En sept jours [il évacue] 5 [sheng] x 7 soit 3 dou et 5 sheng [soit environ 7000 ml en 7 jours] et l’eau et les céréales qui séjournait [dans l’estomac et les intestins] sont épuisées. C’est pour cela que l’être humain équilibré qui ne mange pas et ne boit pas pendant 7 jours meurt, car le qi essentiel (jing qi) et les liquides organiques (jin ye)
issus de l’eau et des céréales sont tous épuisés”.
 » (黄帝曰:愿闻人之不食,七日而死,何也?伯高曰:臣请言其故。胃大一尺五寸,径五寸,长二尺六寸,横屈受水谷三斗五升,其中之谷常留二斗,水一斗五升而满(…)。小肠(…)受谷二斗四升,水六升三合合之大半。回肠(…),受谷一斗,水七升半。 广肠(…),受谷九升三合八分合之一。 肠胃之长(…),受水谷九斗二升一合合之大半,此肠胃所受水谷之数也。平人则不然,胃满则肠虚,肠满则胃虚,更虚更满,故气得上下,五脏安定,血脉和利,精神乃居,故神者,水谷之精气也。故肠胃之中,当留谷二斗,水一斗五升;故平人日再后,后二升半,一日中五升,七日五七三斗五升,而留水谷尽矣;故平人不食饮七日而死者,水谷精气津液皆尽故也).
    Dans la diffculté 43 du Nan Jing, il est inscrit une mention similaire : « (…) C’est pour cela que
l’être humain équilibré (ping ren) qui ne mange pas et ne boit pas pendant 7 jours meurt, car l’eau, les céréales et les liquides organiques (jin ye) sont tous épuisés”. 
» (故平人不食饮七日而死者,水谷津液俱尽,即死矣).
    On s’aperçoit dans ces passages issus de deux des plus anciens classiques de la médecine chinoise, que, non seulement, il n’est pas du tout fait l’éloge de l’abstinence de nourriture pour favoriser la bonne santé, mais qu’au contraire il est même assez crûment présenté la raison pour laquelle une personne va mourir de faim après sept jours sans boire et sans manger.
    Dans le rouleau 27 du Qianjin Yaofang, Sun Si-miao met aussi en garde :
« De nos jours, les gens espèrent souvent des résultats sur une courte durée et recherchent des réponses immédiates, leurs organes et leurs entrailles ne sont pas remplis et, pourtant, ils cessent de manger (jue li), le qi des aliments (gu qi) commence à être supprimé (…) et cela provoque le décès. Qu’y aurait-il d’étonnant ? » (今人多望朝夕之效,求目下之应,腑脏未充,便以绝粒,谷气始除(…),以此致弊,可不怪哉).
    C’est en raison de ce genre de mention que, de manière générale, le jeûne n’est pas bien vu dans le milieu de la médecine chinoise en Chine, comme en Occident. On considère que si un patient ne mange pas et ne boit pas, il n’aura pas suffsamment de matière première pour fabriquer son qi, son sang et ses liquides organiques, et que, de ce fait, il s’affaiblira, et que ses fonctions physiologiques, qui, par défnition, nécessitent l’apport de qi et de sang pour s’activer, seront entravées. De plus, dans les cas d’abstinence de nourriture et de boissons suffsamment longue, le pronostic vital peut être engagé, et le patient peut parfois décéder. C’est une des réalités de l’arrêt de l’alimentation chez l’être humain, et ce qui explique que des millions de personnes décèdent chaque année de la famine dans le monde de nos jours.
Dans le chapitre 11 du Su Wen, il est mentionné : « Ce que l’on appelle les cinq organes (wu zang) thésaurisent le qi essentiel (jing qi) et ils ne drainent pas, c’est pourquoi ils sont pleins mais ne peuvent pas être remplis. Les six entrailles (liu fu) transmettent et transforment les substances [alimentaires] et ne thésaurisent pas, c’est pourquoi elles sont remplies et ne peuvent pas être pleines. Il en est ainsi car l’eau et les céréales pénètrent par la bouche, alors l’estomac est rempli et les intestins sont vides. Les aliments descendent, alors les intestins sont remplis et l’estomac est vide. C’est pourquoi il est dit “ils sont pleins mais ne peuvent pas être remplis” et “elles sont remplies et ne peuvent pas être pleines”. » (所谓五脏者,藏
精气而不泻也,故满而不能实。六腑者,传化物而不藏,故实而不能满也。所以然者,水谷入口则胃实而肠虚,食下则肠实而胃虚。故曰实而不满,满而不实也).
    Ce passage note l’importance de respecter ces rythmes de remplissage de l’estomac par le bol alimentaire, de laisser la digestion se faire dans les intestins, avec l’estomac vide, de respecter ces alternances yin et yang, remplissage et vidange, satiété et faim, en laissant suffsamment de temps entre ces étapes. L’ingestion quasi permanente de nourriture, les repas trop rapprochés et le grignotage tout au long de la journée ne seront pas bénéfques pour le système digestif. L’intrant excessif d’aliments va affaiblir le qi de la rate et de l’estomac, va obstruer le système de yangming [estomac, intestins, tractus digestif], il y aura stagnation alimentaire, l’assimilation du bol alimentaire sera ralentie, la production de qi et de sang se fera moins bien et ainsi au fnal l’ensemble du corps sera pénalisé.

Les céréales
     Nous pouvons poursuivre en mentionnant le rôle des céréales (gu 谷/ 穀) et de l’expansion de l’agriculture sur le développement des civilisations qui vécurent il y a quelques siècles à quelques millénaires avant notre ère. Qu’aurait été Alexandre le Grand sans des stocks importants de céréales ? Qu’aurait été l’Empereur Qinshi sans la collaboration de tous les paysans de l’Empire Chinois de l’époque pour nourrir toutes ces bouches ?
La culture des céréales qui se développa de manière importante après la révolution agricole du néolithique n’avait probablement pas pour but de fournir un aliment riche, nutritif, plein de vitamines, d’oligoéléments, etc. (surtout l’usage des céréales raffnées). Non, les céréales sont fnalement assez
pauvres d’un point de vue nutritif. Cependant, elles possèdent deux avantages de taille qui leur a permis d’être sélectionnées par les dirigeants et les chefs de ces époques lointaines : le premier et que les céréales se conservent facilement et longtemps, voir même très longtemps (en comparaison avec des légumes, des fruits ou de la viande), elles permettent donc d’avoir des stocks suffsants et d’éviter les périodes de pénurie alimentaire ; le deuxième est que les céréales remplissent l’estomac et procurent un sentiment de satiété important (cela permet de sauver de la famine et de facilement nourrir des troupes de soldats, etc).
    Dans le livre biblique de la Genèse, le récit de Caïn, l’agriculteur, tuant son frère Abel, le berger, semble être une métaphore de ce confit historique et séculaire entre les êtres humains nomades, initialement présents, et les agriculteurs sédentaires, nouvellement arrivés. Ces derniers désirant s’accaparer les terres, quel qu’en soit le prix.
    En développant l’agriculture, et notamment la culture des céréales à relativement grande échelle, les différentes civilisations ont pu avoir des stocks de nourriture pour des mois, pour des années, elles ont pu commencer à planifer sur le long terme, elles ont pu ne plus subir de plein fouet les aléas climatiques et naturels. Cependant, en stockant des grosses quantités de céréales, alors cela a suscité l’envie de ceux qui en manquaient ou qui en avait moins. Ainsi, il a fallu développer des polices et des armées pour défendre et protéger ces céréales (et les terrains servant à les cultiver) contre le vol et le pillage. Et d’un autre côté, d’autres ont développé des armées dans le but de piller et de voler justement ces céréales (et les terrains sur lesquels elles pouvaient être cultivées facilement). Avec l’avènement de l’agriculture, s’est imposé le développement de l’armée et des guerres. Puis, simultanément à cela, s’est aussi imposé le développement de la collecte des impôts, qui fnalement, archaïquement, ne consistait pas vraiment en autre chose qu’à communautariser de gré ou de force les récoltes des céréales qui étaient produites sur un territoire donné, un duché, un comté, un pays, un royaume, un empire.
    À ce sujet, il est assez intéressant de constater qu’un des termes propre à la médecine chinoise, un des termes les plus usités, un des termes avec les signifcations les plus variées, a été mis en lien avec les céréales justement. Ce terme est le caractère « qi, énergie, souffe (氣) » dont on aperçoit dans son écriture classique la composante « qi ( 气) » à l’extérieur [qui correspond à l’écriture simplifée du caractère au- dessus], et la composante du « riz décortiqué, grain (mi 米) » à l’intérieur. Ceci montre à quel point l’idéologie des dirigeants de ces périodes a imprégné la culture, l’écriture, les concepts et les idées. L’époque n’était plus aux nomades et aux voyageurs glanant des baies ou des fruits, et chassant du gibier ou élevant des troupeaux, l’époque était aux sédentaires et à l’agriculture.
    En outre, il existe un caractère chinois synonyme, qui semblerait-il serait un peu plus ancien, et qui justement ne possède pas la composante du « grain de riz (mi 米) », il s’agit du caractère « qi (炁) », dont la partie inférieure est « huo (灬) » qui est une forme modifée de « huo (火) » : le feu !
    Ce dernier caractère a été relégué au rang de caractère rare et inusité. La sensation de satisfaction produite par le comblement du tractus digestif avec des céréales l’a emporté sur la réalité du fait que toute la nourriture que nous consommons et toute l’énergie que le corps humain utilise n’a qu’une seule et unique source énergétique : le Soleil. Le Feu Céleste.
    Tous les végétaux que nous consommons tirent leur énergie du Soleil par le bais de la photosynthèse. Tous les animaux dont nous mangeons la viande, qui sont évidemment incapables de photosynthèse, tirent en réalité leur énergie de ces végétaux qui ont eux-même puisés leur énergie du Soleil. L’être humain, étant, dans la grande majorité des cas, incapable de puiser son énergie directement auprès du soleil, se doit aussi de consommer des êtres végétaux, ou des êtres animaux, afin d’acquérir par procuration un peu de cette énergie issue de l’Étoile solaire au centre de notre système du même nom.
    Il me semble, qu’à l’heure où une très grande partie des maux qui affigent les populations des pays soi-disant développés ou en voie de développement n’a plus pour cause le manque de nourriture mais
« l’excès de bouffe », il serait peut-être pertinent de reconsidérer tout cela. Et notamment de reconsidérer la place des céréales dans l’alimentation moderne. Faut-il continuer à consommer des quantités importantes de céréales à chaque repas ? Ne serait-il pas intéressant justement de « renoncer (bi 辟) », au moins en partie, à cette prolifque quantité de « grains (gu 谷) » au sein de notre alimentation ?
    Cependant, pour cela, évidemment, la civilisation doit aussi évoluer. Il faut que les populations n’aient plus ce sentiment d’insécurité vis à vis de la nourriture. Il ne faut plus qu’il y ait cette peur du manque, ce cri d’alarme venant du fond des tripes. Mais pour que des changements surviennent sereinement, il faut également que cessent les vols, les pillages et les guerres. Car finalement, c’est de cela dont il est question. Pourquoi tel pays envoie des troupes militaires au Moyen-Orient pour y voler du pétrole ? Simplement, avant tout, pour pouvoir mettre du carburant dans des tracteurs, des moissonneuses batteuses et des camions afn d’être capable de produire de grandes quantités de céréales
et de pouvoir distribuer ces céréales pour nourrir son peuple (et les animaux dont il consomme la viande). Céréales dont une grande partie ne servira même pas à nourrir des humains, mais à nourrir du bétail, qui lui servira à nourrir des êtres humains.
    Ainsi, il me semble que cette notion chinoise du jeûne, le « bi gu », « renoncer à consommer de la nourriture », mais surtout dans sa conception « d’arrêter de consommer des céréales » de manière spécifque, de « diminuer l’apport en grain », ce « bi gu » sonne comme un acte de résistance à ce qui pervertit toutes les civilisations depuis leurs prémices.
    Les taoïstes considèrent que la consommation de céréales favorise le yin trouble (zhuo yin 浊阴) et
assombrit la clarté de l’esprit (shen ming 神明). Les céréales entraineraient des accumulations et des selles nouées dans les intestins, produisant du qi malpropre, et entravant la voie vers la sagesse. Pour comprendre cela, c’est simple, il sufft de se concentrer un peu sur les sensations que l’on ressent après avoir manger une bonne assiette de pâte al dente (c’est-à-dire pas assez cuites). Est-ce que l’on se sent léger ? Est-ce que l’on se sent l’esprit vif ? Ou bien aurait-on seulement envie de s’allonger un moment en attendant que ces sensations de lourdeur, de somnolence post-prandiale, de distensions épigastriques passent un peu ?
    Ce qu’un être humain mange infuence ce qu’il est, et, dans une certaine mesure, ses capacités et ses caractéristiques. Ainsi, dans le Bao Pu Zi (抱朴子), Ge Hong (葛洪) (284-364), le fameux alchimiste et médecin taoïste relate :
« Ceux qui mangent des plantes herbacées (cao) sont de bons marcheurs et sont sots ; ceux qui mangent de la viande ont beaucoup de force et sont féroces ; ceux qui mangent des céréales sont intelligents et n’ont pas une longue vie ; ceux qui mangent du qi ont l’esprit clair (shen ming) et ne meurent pas ».(4) (食草者善走而愚,食肉者多力而悍,食谷者智而不寿,食气者神明不死).
    De plus, il paraît à peu près évident que les êtres humains homo sapiens qui vivaient avant l’ère des grandes civilisations utilisant abondamment la culture des céréales, ne devaient consommer que très peu de céréales, car même si les céréales existent évidemment à l’état sauvage depuis toujours, il est diffcile d’en récolter suffisamment pour en avoir une très grande quantité. Alors que lorsque l’on tombe sur un châtaigner, un noyer, un pommier, un roncier ou un pin chargé de fruits, on fait bombance. Ainsi, le système digestif des premiers Homo sapiens n’était probablement pas vraiment conçu pour recevoir les quantités de céréales qu’on lui infige de nos jours, et c’est pourtant de ce système digestif dont a hérité l’être humain moderne. L’alimentation a probablement beaucoup évolué, surtout les derniers siècles, mais le système digestif humain, lui, ne s’est pas modifé. Cela pourrait-il poser des problèmes ? À priori, oui.

Les biscuits médicinaux (yao er 药饵)
    L’abstinence des céréales (bi gu) n’est pas nécessairement un jeûne, au sens abstinence totale de nourriture matérielle. En même temps que la consommation de qi par le biais de la respiration, il peut y avoir une petite consommation d’aliments variés comme du sésame, des amandes, des jujubes, des châtaignes, des noix, du miel, etc. De plus, il peut y avoir une consommation de « biscuits médicinaux (yao er 药饵) ». Les biscuits médicinaux (yao er 药饵) désignent des produits nutritifs et thérapeutiques, des sortes « d’alicaments » avant l’heure, que l’on fait administrer aux patients. Ils sont formés à partir de graisses animales ou végétales, d’herbes médicinales comme dihuanghuangjingheshouwugouqizitianmendongmaimendong, juhuafulingbaizhusongzibaizirenyiyirenshanyaoxingrenbaishaoshichangpu, zexieshiwei, etc., de légumes, de champignons, de minéraux ou d’épices, et ont la forme et la consistance d’un petit biscuit.
Leurs utilisations sont plus ou moins identiques aux herbes en décoction, en poudre ou en pilule, possédant également un objectif thérapeutique, mais de par leur préparation et leur composition, ces biscuits sont relativement faciles et sans danger à faire consommer par les patients sur une longue période. Ils faisaient partie des techniques diététiques utilisées anciennement en Chine.
     Dans son œuvre, Sun Si-miao présente de nombreuses formules de biscuits thérapeutiques (er), comme par exemple :
« La formule Er Bai Shi (Biscuit à base de Bai Shi) : Baiziren 2 sheng [400 ml], piler jusqu’à former une poudre fne, mettre à tremper dans 4 sheng [800 ml] de vin épais, mélanger jusqu’à réduire en purée, incorporer 2 sheng [400 ml] de miel blanc, 3 sheng de purée de jujube, piler jusqu’à pouvoir former des pilules, incorporer 1 sheng [200 ml] de poudre de gandihuang et 1 sheng [200 ml] de poudre de baizhu, mélanger et former des pilules de la taille d’une graine de wu[tong] [( 梧 桐, Firmiana simplex, parasol chinois) environ 6 à 8 mm de diamètre]. Administrer 30 pilules par prise, 3 fois par jour. En 20 jours les myriades de maladies sont toutes guéries. » (饵柏实方 :柏子仁二升,捣令细,醇酒四升渍,搅之如泥,下白蜜二升,枣膏三升,捣令可丸,入干地黄末、白术末各一升,搅和丸如梧子,每服三十丸,日二服,二十日万病皆愈). [QJYF-27]
    Ou encore :
« La formule Er Song Zi (Biscuit à base de Song Zi) : On récolte songzi au 7ème jour du 7ème mois lunaire [fn août]. On administre 1 cuillère carré d’un cun [environ 2 g], 3 à 4 fois par jour. Une version dit d’administrer 3 ge [60 ml]. Après 100 jours le corps s’allège, après 300 jours on peut marcher 500 li [soit 150000 pas, environ 90 km] en une journée, cela permet de jeûner et, administrée longtemps, on devient immortel (sheng xian). » (饵松子方:七月七日采松子(…)。治服方寸匕,日三四。一云∶一服三合,百日身轻,三百日行五百里,绝谷久服升仙).
    Dans le rouleau 12 du Qianjin Yifang, Sun Si-miao inscrit :
« La formule Xing Ren Su (Gâteau à base de Xing Ren) traite les myriades de maladies, elle élimine tous les vents et les consomptions par défciences avec froid. On prend xingren, sa saveur est douce et parfumée. Il ne faut absolument pas utiliser le xingren des montagnes car elle est très toxique et nuit aux êtres humains. Xingren 1 shi [20 L] (…), la faire sauter sur un petit feu, piler pour en faire une poudre fne, choisir 2 shi [40 L] de bon vin, et mélanger avec xingren puis récupérer 1 shi et 5 dou [30 L] du jus. Mélanger le jus de xingren ci-dessus avec 1 dou [2 L] de miel, cuire jusqu’à épaissir pour rendre comme du lait, mettre dans une grande jarre et mélanger, sceller avec un mortier pour ne pas que l’air s’échappe (…). Après 30 jours on observe, le gâteau (su) émerge au-dessus de l’alcool. On récupère le gâteau (su) et on le met dans un récipient en céramique hermétique. On récupère l’alcool qui était dessous le gâteau et on le stocke séparément. Avec ce remède, on fait des boules de la taille d’une poire que l’on place dans une pièce vide. Il ressemble à un fruit conft [/un gâteau sucré], c’est délicieux. En l’administrant il permet à l’être humain de pouvoir jeûner [/se passer de céréales] (duan gu). » (杏仁酥主万病,除诸风虚劳冷方。取家杏仁,其味甜香。特忌用山杏仁。山杏仁慎勿用,大毒害人也。家杏仁一石(…)。微火炒,捣作细末,取美酒两石,研杏仁,取汁一石五斗)上一味,以蜜一斗拌杏仁汁,煎极令浓与乳相似,纳两顶瓮中搅之,密封泥勿令泄气(…)。三十日看之,酒上出酥也。接取酥纳瓷器中封之。取酥下酒别封之。团其药如梨大,置空屋中作阁安之,皆如饴餔状,甚美。服之令人断谷).

L’eau
    Dans le rouleau 13 du Qianjin Yaofang, Sun Si-miao nous parle de l’eau :
    « Le Ciel engendre les cinq mouvements, la nature intrinsèque de l’eau est la plus spirituelle [/prodigieuse]. [L’eau] fotte dans le Ciel et remplit la Terre, il n’y a pas d’endroit trop haut ou trop bas pour qu’elle n’y parvienne. Elle humecte et descend pour former les marais, elle s’élève pour former les nuages, elle s’amasse pour former le brouillard et elle descend pour former la pluie, c’est pourquoi les fonctions (yong) de l’eau sont favorables et immenses. Elle peut nettoyer et purifer les immondices, elle peut imbiber et humecter ce qui est desséché et brûlé. Lorsqu’on la scrute, il est impossible d’en sonder les rivages. Lorsqu’on l’observe, il est impossible d’en percevoir les limites. Ainsi, tous les êtres vivants qui reçoivent du qi ne peuvent pas vivre sans eau. Les myriades d’êtres qui possèdent une forme corporelle (xing) ne peuvent pas se développer sans eau. D’un point de vue macroscopique, [l’eau] enveloppe et supporte le Ciel et la Terre. D’un point de vue microscopique, elle se conforme au q i et s’adapte à son environnement. » (夫天生五行,水德最灵。浮天以载地,高下无不至。润下为泽,升而为云,集而为雾,降 而为雨,故水之为用,其利博哉。可以涤荡滓秽,可以浸润焦枯,寻之莫测其涯,望之莫睹其际,故含灵受气 ,非水不生;万物禀形,非水不育;大则包禀天地,细则随气方圆).
    L’eau est une substance habituellement indispensable pour les processus physiologiques du corps humain et c’est aussi une substance qui est dite pouvoir « nettoyer », « purifer », « assainir » et
« humecter ». Ainsi, son rôle dans le jeûne semble très important. L’eau fournit un intrant extérieur pour le corps, et permet aussi de nettoyer, détoxifer et laver le corps de toutes les immondices et les toxines accumulées et qui entravent ses fonctions. Elle peut aussi humecter pour favoriser la réparation des cellules et tissus abîmés.
    Nous pouvons évoquer ici le rôle important de l’eau dans différentes religions comme lors du baptême, de la communion, des ablutions diverses, des immersions des hindous dans le Gange pour se libérer des péchés, etc.
    Nous pouvons aussi mentionner les différents travaux faits ces dernières décennies en rapport avec la mémoire de l’eau (cf. les travaux du Dr. Jacques Benvéniste [1935-2004] à ce sujet, soutenu et
poursuivi par le prix Nobel de médecine le Pr. Luc Montagnier [1932-2022]) et également les travaux sur la cristallisation sensible de l’eau (cf. les travaux du japonais Masaru Emoto [1943-2014] en partie basés sur la technique inventée par l’allemand Ehrenfried Pfeiffer [1899-1961] sur la suggestion de Rudolf Steiner [1861-1925]). Les travaux et les réfexions de tous ces personnages ouvrent beaucoup de perspectives quant au rôle de l’eau pour la vie en générale, et pour la santé humaine en particulier.

Techniques respiratoires (tu na 吐纳)
    L’abstinence des céréales (bi gu) se fait parallèlement à la pratique de techniques méditatives et de techniques respiratoires de réception du qi pur (na qing qi 纳清气) et d’expulsion du qi trouble (tu zhuo qi 吐浊 气). La respiration originelle (tai xi 胎 息), qui se traduirait littéralement par « respiration embryonnaire », semble être une technique de respiration méditative utilisée lors de pratiques d’entretien de la santé et de pratiques spirituelles. Dans le Bao Pu Zi (抱朴子), Ge Hong (葛洪) (284-364), le fameux alchimiste et médecin taoïste, dit :
     « Lorsque l’on acquiert la respiration originelle (tai xi 胎 息), on peut respirer sans utiliser la bouche et le nez, tel un fœtus ».
     C’est-à-dire que l’on n’utilise plus la bouche et le nez pour respirer, à la manière du fœtus dans le ventre de sa mère, qui respire par l’ombilic. La bouche et le nez sont les portes et les fenêtres de la respiration, alors que le champ de cinabre (dan tian 丹 田), c’est-à-dire la zone du bas-ventre sous l’ombilic, au niveau du point guanyuan (4RM), constitue la racine du qi et de la respiration. C’est par là que se mettent à l’œuvre les sages et c’est l’endroit qui reçoit et thésaurise l’origine véritable. Pratiquement, on peut dire généralement qu’il s’agit d’utiliser l’intention (yi 意 ) pour guider une respiration abdominale profonde et souple, afin de guider, de recevoir et de conserver le qi au niveau du champ de cinabre.
     Ces techniques respiratoires, associées à des techniques de daoyin (5) ou de qigong, sont essentielles lors de la pratique des arts du Dao des maîtres taoïstes, notamment lors du jeûne (bi gu). Elles vont permettre de suppléer le corps en qi pour combler la rupture de l’apport alimentaire digestif habituel. Dans le corps humain, les trois entités que sont le qi (en rapport avec l’être humain), l’esprit (shen 神) (en rapport avec le Ciel, l’aspect divin) et l’essence (jing 精) (en rapport avec la Terre, l’aspect matériel), s’engendrent constamment les unes les autres, s’infuencent et se transforment réciproquement. Ainsi, habituellement, l’essence subtile des aliments (jing wei 精微) est reçue, absorbée, assimilée, transformée et produit le qi et le sang essentiel (jing xue 精血) dont l’organisme a besoin pour fonctionner ; le qi et le sang étant suffsants, l’essence (jing) est favorisée, alors l’esprit (shen) est bien ancré dans ce « corps matériel », il ne s’agite pas et ne fuit pas. De plus, avec le surplus de ces processus, l’essence ( jing) innée des reins peut être un peu complétée et thésaurisée. Lorsque l’on ne consomme plus de nourriture, l’apport alimentaire est rompu, l’être humain doit trouver un autre moyen pour maintenir l’harmonie entre l’essence (jing), le qi et l’esprit (shen). D’une part, les pratiques respiratoires permettent une assimilation accrue du qi de l’air, elles permettent de favoriser le qi au niveau du champ de cinabre (dan tian) et de soutenir l’essence (jing) du foyer inférieur. D’autre part, les pratiques méditatives et spirituelles permettent de faire en sorte que l’esprit (shen) ait une action sur le qi ; grâce à l’esprit (shen), le qi va pouvoir se concentrer et se condenser dans certaines zones et pouvoir maintenir son action physiologique ; ce faisant, la condensation et l’agglomération du qi va mobiliser la matière et permettre à l’essence (jing) d’être produite. Ainsi, l’essence (jing) est suffsante, le qi est abondant, et l’esprit (shen) demeure calmement thésaurisé dans le corps.

Le jeûne et l’inédie
     L’usage des pratiques spirituelles, méditatives et des techniques respiratoires serait une des principales raisons pour laquelle, il serait possible de ne pas manger et de ne pas boire sans pour autant
« mourir après 7 jours » comme l’indique le Nei Jing. La science moderne indique généralement que l’on peut survivre 30 jours sans manger, 3 jours sans boire et 3 minutes sans respirer. Au-delà de cette limite temporelle soi-disant fatale d’abstinence de nourriture et d’eau, il s’agit d’un état d’inédie. Les faits d’inédie sont nombreux et existent dans toutes les cultures, partout dans le monde et à toutes les époques.
    Par exemple, Marie l’égyptienne est une sainte de Palestine du IVème siècle qui aurait vécu pendant 47 ans dans le désert avec pour seule nourriture la communion (hostie) une fois par an.
    Antoine le Grand (251-356), fondateur de l’érémitisme chrétien, aurait aussi été un adepte de l’abstinence de nourriture, qu’il aurait pratiqué pendant des dizaines d’années.
    Teresa Neumann (1898-1962) est une mystique catholique allemande qui, après l’âge de 28 ans, auraient vécu pendant 36 années sans absorber aucun aliment, solide ou liquide, sauf les 2 grammes d’hostie pour sa communion quotidienne. Elle disait que « L’on peut subsister avec le souffe divin comme seule nourriture ».
    Wu Yun-qing (吴云青) (1896-1998), de la province du Henan en Chine, aurait vécu 102 ans, et
même, selon des témoins directs, il serait né bien avant cette date et aurait, en réalité, vécu plus de 160 ans. Il était un adepte de l’ascétisme et du jeûne (bi gu). Des gens qui l’on connu comme un vieillard à barbe blanche lorsqu’ils étaient enfants le côtoyaient encore lorsque ces derniers étaient eux-même devenus des vieillards qui avaient 70-80 ans. À un âge avancé il a perdu ses dents et aurait eu une nouvelle poussée dentaire. Le plus surprenant est qu’il est décédé en position assise de méditation après n’avoir pas mangé pendant 1 mois et n’avoir pas bu pendant 15 jours et que, trois ans après, son corps était toujours dans cette position, et ne se décomposait pas. Il était devenu une momie, sans l’apport d’aucune technique de momifcation post-mortem. Par la suite son corps a été placé dans un caisson réfrigéré en verre.
    Marthe Robin (1902-1981) est une mystique catholique française qui auraient vécu plus de 50 ans dans une situation d’inédie, en se nourrissant uniquement de l’hostie consacrée.
   Plus près de nous, Alyna Rouelle, née en France en 1990, qui, selon ses termes, s’est nourrie de
« lumière », de « prana » et d’un peu d’eau, pendant 2 années consécutives. Elle dit :
     « Un corps privé de nourriture meurt. Mais un corps privé de nourriture physique n’a aucune raison de mourir si on met à sa disposition un aliment d’un autre type. »
     « La différence fondamentale c’est que, quand on jeûne, on ne mange plus, quand on se nourrit de lumière, on mange en permanence, différemment mais en permanence. »
     Selon Alyna Rouelle, il est possible de se nourrir directement des particules de lumière qui composent l’ensemble de la matière, sans avoir à passer par le besoin d’ingérer des produits alimentaires, qui vont indirectement fournir cette lumière au corps par le biais de la digestion.
Ceci aurait-il à voir avec la différence entre le caractère énergie « qi (炁) » possédant le radical du
« feu (huo 灬/火) » (en lien avec le feu solaire primordial) et le caractère énergie « qi (氣) » possédant le radical du « grain de céréales (mi 米) » ?!

Le jeûne, une pratique spirituelle ?
De nos jours, avec l’acceptation progressive du jeûne par la population générale et aussi l’introduction du jeûne dans le milieu médical moderne qui, depuis quelques années déjà, a commencé de manière éparse à étudier et à utiliser cette « technique » pour faire face à diverses situations pathologiques, le jeûne s’est popularisé et est devenu quelque chose de plus commun. Pourtant, anciennement en Chine, la pratique du jeûne semblait tout, sauf quelque chose de « populaire » et que chacun devait pratiquer. L’abstinence des céréales (bi gu), le jeûne ou l’inédie se faisait parallèlement à la pratique de techniques méditatives et de techniques de développement de soi, dans le cadre d’une certaine ascèse.
Fait-on un jeûne uniquement pour soulager quelques désagréments de son corps physique ? Peut- on faire un jeûne de la même manière que l’on suit une diététique alimentaire à la mode ? Peut-on faire un jeûne sans une démarche spirituelle ? N’importe qui peut-il faire un jeûne ?
D’après ce qu’inscrit le Ling Shu et le Nan Jing, « l‘être humain équilibré (ping ren) qui ne mange pas et ne boit pas pendant 7 jours meurt, car le qi essentiel (jing qi) et les liquides organiques (jin ye) issus de l’eau et des céréales sont tous épuisés ». Que désigne cet « être humain équilibré » ?
Généralement, on considère que les termes « ping ren ( 平 人) » défnissent un « être humain équilibré » ou un « être humain en bonne santé ». Cela dit, ces deux caractères peuvent aussi désigner
« les gens du peuple, les gens ordinaires (ping ren 平人) », et être synonyme de « homme quelconque, gens communs, laïcs (su ren 俗人) ». Ces deux termes étant à mettre en opposition avec le terme de « immortel taoïste, être extraordinaire (xian ren 仙人) »(6).
     Dans le Lun Heng (论衡· 道虚, 1er siècle de notre ère), il est dit :
     « Dans le monde ceux qui utilisent le jeûne (bi gu) et ne mangent pas sont les pratiquants des arts du Dao ». (世或以辟谷不食为道术之人).
     Ainsi, à priori, il ne s’agirait pas d’une pratique pour tout-venant, mais qui s’adresserait plutôt à des personnes passées maîtres dans les arts du Dao et ses pratiques ascétiques.
     Dans le rouleau 4 du Zhouhou Beiji Fang (肘后备急方), Ge Hong (葛洪, 284 à 364) indique :
     « La consommation de grains [/céréales/nourriture] est ce qui assiste la vie humaine. Si on en manque pendant plusieurs jours, cela peut être mortel. Dans le [Shennong] Bencao [Jing] (Classique de la Matière Médicale de Shennong), il y a les inscriptions [disant que telle herbe médicinale] “[permet] de ne pas avoir faim (bu ji 不饥)”. Cependant, les formules médicales n’ont pas expliqué cette technique [du jeûne], il convient qu’elle concerne le domaine des immortels taoïstes (xian) et les personnages extraordinaires. Il ne s’agit pas de quelque chose que les gens ordinaires (yong su) peuvent suivre. » (粒食者,生人之所资,数日乏绝,便能致命。 本草有不饥之文,而医方莫言斯术者,当以其涉在仙奇之境,非庸俗所能遵故也).
     À la suite de cela, dans le même chapitre, Ge Hong présente plusieurs méthodes et formules pour faire face à des situations de cachexie, d’épuisement et de mort imminente faisant suite à un jeûne trop intense ou à une situation de famine.
     De plus, on constate que parmi les ouvrages médicaux de Sun Si-miao, dans le rouleau 26 du Qianjin Yaofang ( 千金要方) qui présente les Thérapies Diététiques (食治) le jeûne n’est pas abordé. Puis, dans le Qianjin Yifang (千金翼方), Sun Si-miao traite séparément de la Cultivation du Principe Vital (yang xing 养性) dans le rouleau 12 d’une part, et spécifquement du Jeûne (bi gu 辟谷) dans le rouleau 13 d’autre part. Dans le premier chapitre du rouleau 13, le maître Sun inscrit que la technique du jeûne est faite « Pour ceux qui souhaitent devenir immortel [/pratiquer le taoïsme] (sheng xian) » ( 欲求升仙者). Ceci expliquerait qu’on ne discute pas ensemble des Thérapies Diététiques ( 食 治) et de la Cultivation du Principe Vital (yang xing) pour les « gens ordinaires (ping ren) », et du Jeûne (bi gu) pour les « ascètes taoïstes (sheng xian) ».
     Ici, ascète taoïste serait à comprendre de manière large, c’est-à-dire que les pratiquants de techniques spirituelles que ce soit à base de prières, d’exercices respiratoires, de mantra, qu’ils soient mystique catholique, taoïste, bouddhiste, adepte du soufsme musulman, kabbaliste judaïque ou autre, importerait peu. On constate d’ailleurs que les trois religions monothéistes présentent toutes une pratique du jeûne, le carême chez les chrétiens, le saoum durant le mois de ramadan chez les musulmans et le yom kippour chez les juifs.
     De la même manière, dans le Taiping Shenghui Fang (太平圣惠方, 992, Song du Nord) du maître
taoïste Wang Huai-yin (王怀隐), le rouleau 94 qui comprend les Méthodes des Immortels Divins pour Jeûner (神仙绝谷法), les Formules des Immortels Divins (神仙方) et les Méthodes des Immortels Divins pour Éliminer les 3 Esprits Mortifères et les Neufs Parasites (神仙去三尸九虫法) est bien distinct des rouleaux 96 à 97 qui eux discutent des Thérapies Diététiques ( 食治) et du rouleau 98 qui lui présente les Supplémentations ( 补益). Ainsi, maître Wang, lui aussi, sépare clairement ce qui est de la diétothérapie de ce qui est du jeûne et des pratiques ascétiques taoïstes.
     Dans le Bao Pu Zi, Ge Hong inscrit :
     « Quelqu’un demanda : “Est-ce que les gens qui jeûnent peuvent accroître leur longévité ? (…)”. Bao Pu Zi répondit : “Les gens qui jeûnent vont seulement faire cesser leur dépense pour [l’achat] de viande, de légumes et de céréales. [Le jeûne] ne peut pas à lui seul permettre aux gens d’accroître leur longévité”. » (或曰:断谷人可以长生乎?(…)。抱朴子答曰:断谷人止可息肴粮之费,不能独令人长生也).
Ainsi, selon lui, le jeûne ne serait pas suffsant à lui seul pour avoir un effet sur la longévité. Et il rajoute cependant :
« Lors [du jeûne] les douleurs et les maladies sont bien moindres que lorsque l’on mange des céréales [/des aliments] ». (差少病痛,胜于食谷时).

Les trois esprits mortifères (san shi 三尸)
     Selon les conceptions taoïstes de la physiologie humaine, dans le corps humain se trouveraient ce que l’on appelle les « trois esprits mortifères (san shi 三尸) » et les « neuf parasites (jiu chong 九虫) ». Ces trois esprits mortifères (san shi 三尸) sont emprisonnés dans l’être humain et désirent sa mort.
     Dans l’ouvrage Taoïste Yun Ji Qi Qian (云笈七签, 1029), il est inscrit :
« Après la mort [de l’être humain], l’esprit éthéré (hun) s’élève vers le Ciel et l’esprit corporel (po) pénètre dans la Terre. Seuls les trois esprits mortifères (san shi) deviennent errants, on les appelle les fantômes (gui) ». (死后魂升于天,魄入于地,唯三尸游走,名之曰鬼).
     Dans le You Yang Za Zu (酉阳杂俎), Duan Cheng-wu (段成式, 803-863) parle de ces trois esprits mortifères en ces termes :
     « Le premier loge dans la tête de l’être humain et engendre chez lui beaucoup d’ambition et l’envie d’avoir une belle voiture et de beaux chevaux [symbole de rang et de richesse] (…). Le deuxième loge dans l’abdomen de l’être humain et le rend enclin à aimer la nourriture et à avoir tendance à la colère (…). Le troisième loge dans les pieds de l’être humain et le rend enclin au désir charnel et à aimer tuer. »
(一居人头中,令人多思欲,好车马(…);一居人腹,令人好饮食,恚怒(…);一居人足令人好色,喜杀).
     L’esprit mortifère du haut (shang shi 上尸) réside dans le cerveau et il aime les objets précieux, les choses de valeur, l’extravagance, le faste et le luxe. L’esprit mortifère du centre ( zhong shi 中尸) réside dans le cœur et il aime satisfaire son palais, la bonne chair et toutes sortes d’aliments délicieux. L’esprit mortifère du bas (xia shi 下尸) réside dans le ventre et il est enclin au désir sexuel, à la passion charnel, à l’érotisme et à la luxure. Ces trois esprits mortifères (san shi) sont à l’origine de la survenue de tous les désirs, ils sont comme un mauvais esprit ou une sorte de démon qui empoisonne et corrompt l’être humain. Ils sont la pulsion de mort contenue en chacun de nous, et ils sont aussi ce qui permettra la décomposition du corps après la mort.
     Étant donné que ces trois esprits mortifères (san shi) résident dans le corps humain, ils se basent sur l’énergie des aliments (gu qi 谷气) pour subsister. Si on jeûne, alors ces trois esprits mortifères (san shi) ne sont plus nourris et ils s’apaisent ou disparaissent d’eux-même.
     Dans le chapitre 4 du rouleau 17 du Zhubing Yuanhou Lun (诸病源候论, 610), Chao Yuan-fang (巢元方) inscrit :
     « Les trois esprits mortifères (san shi) et les neufs parasites (jiu chong) résident habituellement dans l’estomac et les intestins de l’être humain. Si l’estomac et les intestins sont déficients, alors ils s’agitent et montent ronger les cinq organes. Ainsi, il y a angoisse du cœur et oppression, survenue d’abcès des gencives, des lèvres et de la bouche. S’ils descendent ronger les intestins, alors y a ulcération de l’anus et le colon est ouvert. Dans les cas légers, il est possible de traiter. Dans les cas graves, alors cela mènera à la mort. » (三尸九虫,常居人肠胃,肠胃虚则动,上食于五脏,则心懊而闷,齿龈、唇口并生疮;下食于肠,则肛门伤烂,而谷道开也。轻者可治,重者致死也).
     D’après cette défnition on peut plus ou moins assimiler les trois esprits mortifères et les neuf parasites aux parasites opportunistes et aux diverses bactéries vivant dans le tractus digestif humain.
     Dans le chapitre des Symptomes de Tous les Esprits Mortifères (zhu shi hou 诸尸候) du rouleau 23 du
Zhubing Yuanhou Lun, Chao Yuan-fang dit :
      « À l’intérieur du corps humain, il y a naturellement les trois esprits mortifères ( shi 尸) et tous les parasites (chong 虫). Ils vivent tous avec l’être humain et ces parasites renoncent à être malsains [c’est-à- dire qu’il y a une sorte de symbiose entre le corps humain et ces parasites et esprits mortifères, il n’y a pas de nuisance (ndt)]. Ils peuvent communiquer avec les fantômes (gui 鬼) et les esprits (ling 灵). S’ils sont fréquemment en contact avec les agents pathogènes externes, alors ils seront nocifs et pathogènes pour l’être humain. Les symptômes qui surviennent sont un aspect taciturne avec envie de dormir, [le patient] ne sait pas clairement la localisation de sa souffrance et il n’y a pas d’endroit où il n’y a pas le mal (e 恶), soit il y a contractures, distensions et douleurs abdominales, soit il y a une masse comme un tas de pierres qui est saillante [dans l’abdomen], soit il y a des contractures qui irradient jusqu’aux lombes et à la colonne vertébrale, soit il y a désordre de l’esprit et de la vitalité ( jing shen 精神). Les modifcations des manifestations sont nombreuses, mais d’une façon générale les maladies sont semblables et il y a quelques petites différences. On utilise une seule méthode pour traiter cela, c’est pourquoi on les appelle “tous les esprits mortifères (zhu shi)” ». (人身内自有三尸诸虫,与人俱生,而此虫忌恶,能与鬼灵相通,常接引外邪,为人患害。其发作之状,或沉沉默默,不的知所苦,而无处不恶,或腹痛胀急,或磥块踊起,或挛引腰脊,或
精神杂错。变状多端,其病大体略同,而有小异,但以一方治之者,故名诸尸也).
     Ensuite, Chao Yuan-fang décrit douze esprits mortifères différents, comme l’esprit mortifère volant (fei shi 飞尸), l’esprit mortifère fuyant (dun shi 遁尸), l’esprit mortifère profond (chen shi 沉尸), l’esprit mortifère du vent (feng shi 风尸), l’esprit mortifère qui s’écoule (shi zhu 尸注), l’esprit mortifère caché (fu shi 伏尸), l’esprit mortifère yin (yin shi 阴尸), l’esprit mortifère frais (leng shi 冷尸), l’esprit mortifère froid (han shi 寒尸), l’esprit mortifère funéraire (sang shi 丧尸) et le qi de l’esprit mortifère (shi qi尸气).
    Parmi ceux-ci, par exemple, il décrit l’esprit mortifère profond (chen shi 沉尸) en ces termes :
     « Lorsque l’esprit mortifère profond (chen shi) survient il y a également des douleurs pongitives du cœur et de l’abdomen, distensions, plénitude, dyspnée et [respiration] précipitée, [une douleur] en pic qui s’élance vers le cœur et le thorax, et qui attaque les hypochondres. Cependant, après que [la crise] cesse, cela est toujours profond, fixe et se trouve dans les organes et les entrailles du patient et provoque chez lui une sensation malsaine partout sur les quatre membres, c’est pourquoi on l’appelle l’esprit mortifère profond. » (沉尸者,发时亦心腹绞痛,胀满喘急,冲刺心胸,攻击胁肋。虽歇之后,犹沉痼在人腑脏,令人四体无处不恶,故谓之沉尸).
     Dans le Qianjin Yaofang et le Qianjin Yifang, Sun Si-miao inscrit plusieurs formules de pharmacopée pour traiter ces différents esprits mortifères (shi). À la fn du rouleau 17 du Qianjin Yaofang, Sun Si-miao donne des traitements en acupuncture :
     « Pour les cinq esprits mortifères (wu shi) (…), on sélectionne une formule pour les traiter tous (…). La méthode de traitement est d’effectuer la moxibustion à 3 cun en arrière du téton [1 cun en arrière de tianxi (18Rte) et à proximité de zhejin (23VB) (ndt)], à gauche pour les hommes et à droite pour les femmes, avec 2 fois 7 [soit 14] cônes d’armoise. Si [la maladie] ne cesse pas, on augmente le nombre de cônes d’armoise. Dès la guérison, on arrête [le traitement]. »
     « Une autre [méthode] est d’effectuer la moxibustion à l’extrémité du pouce des deux mains avec 7 cônes d’armoise sur chaque. »
     « Une autre [méthode] est d’effectuer la moxibustion à 3 cun sous le cœur [à proximité de juque
(14RM)] avec 10 cônes d’armoise. »

     « Une autre [méthode] est d’effectuer la moxibustion à 1 cun sous le téton [à proximité de rugen
(18E)] avec un nombre de cônes d’armoise en fonction de l’importance de la maladie.
 »
(凡五尸者(…),今皆取一方兼治之(…),治之法,灸乳后三寸,男左女右,可二七壮。不止者,多其壮,取愈止。
又,灸两手大拇指头各七壮。又,灸心下三寸十壮。又,灸乳下一寸,随病左右多其壮数).
     Ainsi, il semblerait que les pratiques spirituelles facilitent le jeûne, et que le jeûne favorise, lui aussi, un apaisement de l’esprit et ouvre vers la Voie spirituelle. D’un point de vue de la médecine chinoise, manger moins, peu manger ou jeûner permet assez directement une désobstruction et un nettoyage de yangmingYangming est ce système dans la physiologie humaine, qui comprend le méridien yangming de main, en lien avec le gros intestin, et le yangming de pied, en lien avec l’estomac, et qui est en rapport avec le tractus digestif, il s’agit plus ou moins de tout ce qui va être en contact avec le bol alimentaire depuis les lèvres jusqu’à l’anus. Le yangming, c’est la « brillance du yang (yang ming 阳明) » comme si c’était de la profondeur de ces viscères les plus « souillées » qu’émergeait la partie la plus subtile et la plus éclairée de l’être humain. Il est d’ailleurs intéressant de constater que c’est souvent lors des déséquilibres importants de yangming, et notamment lors de l’obstruction de l’estomac et des intestins (avec constipation, nouure des selles à l’interne, chaleur et sécheresse interne, etc.), que surviennent des phénomènes de crises psychotiques aigües (délires, hallucinations, violences irrépressibles, envie de monter sur des hauteurs, envie de se dévêtir, envie de hurler, etc.). D’où l’importance d’une bonne santé digestive, d’un apaisement des trois esprits mortifères et d’une « légèreté » digestive pour maintenir une bonne santé mentale et psychologique, et entrevoir un quelconque développement spirituel.

Les différents types de jeûnes
D’après les mentions anciennes concernant le « jeûne (bi gu) », nous constatons clairement qu’il ne s’agit pas tout à fait de la même notion que lorsque nous parlons du jeûne de manière contemporaine. Anciennement, le jeûne (bi gu) définissait plutôt une Voie vers l’inédie, c’est-à-dire l’abstinence de nourriture et/ou d’eau pendant des mois et des années, voir jusqu’à la fn de sa vie, avec l’aide initiale et/ou ponctuelle de supplémentations spécifiques comme les « biscuits thérapeutiques » et autres recettes à base de substances médicinales et/ou alimentaires.
Le jeûne, comme défni de nos jours, est une période d’abstinence de nourriture et/ou d’eau pendant quelques dizaines d’heures et jusqu’à plusieurs jours, d’un minimum de 12h et jusqu’à 21 jours,
voir plus dans certains cas. Il est évident que les différents types de jeûnes vont impliquer des diffcultés différentes, et ils auront chacun des effets un peu différents sur le corps.
     Ainsi, on constate, qu’effectivement, lorsqu’un individu pratique un jeûne total avec abstinence de nourriture et d’eau, un jeûne sec, il va épuiser ses réserves au bout de quelques jours et cela pourra, à terme, devenir dangereux, voir fatal. Évidemment, l’abstinence de nourriture avec apport d’eau est beaucoup moins violente pour le corps et l’individu pourra jeûner plus longtemps, 3 jours, 5 jours, 7 jours, voir plus, sans pour autant que ce soit dangereux ou fatal.
     Certains recommandent de ne pas dépasser 48h de jeûne sec, alors que d’autres recommandent jusqu’à une semaine. Le jeûne du ramadan, par exemple, est un jeûne sec intermittent, il consiste en l’abstinence de nourriture et d’eau du lever du soleil au coucher du soleil, ainsi, en fonction de la période de l’année à laquelle il survient, le jeûne du ramadan peut durer 8h en hiver et jusqu’à une durée de 16h en été. Il est possible de pratiquer des jeûnes secs intermittents de 14h, 16h ou 21h.
     Le jeûne hydrique consiste en une abstinence de nourriture solide en continuant à consommer de l’eau, des tisanes ou des bouillons. Ce type de jeûne peut être tenu plus longtemps et un peu plus facilement que le jeûne sec.
     Afin de ne pas brusquer trop le corps il est souhaitable de faire une réduction progressive des aliments que l’on mange (matière animale, céréales, sucre…) avant de commencer le jeûne à proprement parler. Il est également souhaitable de reprendre l’alimentation très progressivement après la fn du jeûne.
     Le jeûne intermittent consiste à alterner des périodes de jeûne et des périodes d’alimentation. Les périodes de jeûne peuvent aller de 12h à 48h.
     Le jeûne court est un jeûne allant de 12h à 3-4 jours. Durant cette période l’épuisement des réserves de glycogène entraîne une baisse de la glycémie indispensable au cerveau, ainsi la néoglucogenèse devient la seule source du glucose disponible. Cela consiste en la synthèse de glucose dans le foie à partir du glycérol (issu des lipides et tissus adipeux du corps) ou à partir des acides aminés (issu des protéines musculaires).
     Le jeûne long commence après 5 à 6 jours d’abstinence de nourriture et peut se prolonger plusieurs semaines. Lors de cette phase de jeûne la concentration dans le sang des corps cétoniques (trois métabolites produits dans le foie à partir d’acides gras) augmente beaucoup, il y a une diminution de la néoglucogenèse et ainsi un maintien de la masse protéique musculaire. Les corps cétoniques vont servir de source d’énergie pour le cœur et le cerveau.

Le jeûne dans le cadre de la médecine
Dans le dernier chapitre du Yi Li Zhen Chuan, le célèbre médecin Zheng Qin-an ( 郑钦安 1824- 1911) inscrit :
     « Pour tous les gens, à l’intérieur d’une famille, les maladies sont ce qui est le plus diffcile à éviter. Si l’on est atteint légèrement, le médecin et les substances médicinales peuvent les guérir. Si l’on est atteint trop gravement, deux fois en trois ans, le médecin et les substances médicinales n’ont plus d’effet (…). Que l’on soit un père, un fls, un frère cadet, un frère ainé ou un mari, il faut urgemment faire volte- face pour cultiver sa vertu (xiu de 修 德) en accomplissant de nombreuses actions bienveillantes. On peut, par exemple, toute la vie s’abstenir de manger de la viande de bœuf et de chien. On peut, par exemple, avec toute sa famille, faire un jeûne [/un régime végétarien] et faire des offrandes pour les neuf empereurs (jiu huang 九 皇). On peut, par exemple, acheter des poissons ou des animaux [vivant en captivité] et leur redonner la liberté. On peut, par exemple, fabriquer un cercueil en bois ou réparer les routes, faire un voyage au moment opportun, faire des bonnes actions secrètement et les propager pendant une longue durée, faire un jeûne sincère afn de se nettoyer et de se purifer, ou se repentir sincèrement de ses péchés et prier avec gratitude (…). J’enseigne souvent ces méthodes aux patients et il s’est avéré, à plusieurs reprises, que cela peut aussi compléter là où le médecin et les substances médicinales ne peuvent plus avoir d’action. » (凡人家中,最难免者疾病,感之轻浅,医药可愈。设或感之太重,三年两载,医药无功,此等疾病,非前世罪孽冤缠,即今生不知检束,积罪累愆之所致也。为人父,为人子,为人弟,为人兄,为人夫者,急宜反身修德,多行善功,或终身戒食牛犬,或全家斋敬九皇,或买鱼物而放生,或施棺木而修路,方便时行,阴功 广积,斋诚涤滤,虔具悔罪祈恩,解厄消灾疏文,先申中宫,次申 城隍,次申东岳,当空焚之,或可转危为安 余常以此法教人,应验屡屡,亦可以补医药之不逮处).
     On constate que Zheng Qin-an conseillait à ses patients pour lesquels les traitements devenaient ineffcaces, entres autres méthodes, le jeûne « afn de se nettoyer et de se purifer » et que cela pouvait être effcace là où les autres traitements n’agissaient plus. Deux des vertus du médecin sont l’humilité et l’honnêteté, on doit savoir reconnaître que l’on ne sait pas et ne peut pas tout soigner, que l’on ne sait pas grand chose au fnal, et qu’il y a des choses qui, même si on ne sait pas exactement pourquoi ni comment,
peuvent malgré tout grandement aider certains patients en souffrance.
     Le jeûne thérapeutique est une pratique popularisée par le médecin Otto Buchinger au début du XXe siècle en Allemagne où il dirigea une clinique centrée sur la pratique et l’étude du jeûne. Il suppose des pouvoirs d’auto-guérison de la physiologie lorsque le corps est soumis au jeûne. Il utilise le concept de
« purifcation », comme témoin de nombreux processus physiologiques favorables à la santé, actifs dans l’organisme à jeun et il développe la notion d’auto-régulation du corps.
     En URSS de nombreuses études scientifques avaient été conduites durant le XXe siècle, mais la plupart n’ont jamais été traduites et sont restées méconnues en Occident. Ces études auraient montré des améliorations remarquables dans certaines affections telles que le diabète sucré, la polyarthrite rhumatoïde et d’autres rhumatismes, l’hypertension artérielle (HTA), l’asthme, l’insuffsance cardiaque ou l’allergie.
    Aux États-Unis, c’est l’hygiéniste Herbert M. Shelton (1895-1985) qui a prôné les nombreux bienfaits du jeûne pour retrouver la santé. Il a généralisé quelque peu cette thérapie en ouvrant plusieurs écoles de santé (health school) permettant ainsi de proposer à des malades de jeûner en étant suivis. Il a supervisé plus de 30 000 jeûnes au cours de sa vie. En Occident, il en est une grande fgure, démontrant que le jeûne est un moyen thérapeutique naturel et effcace.
     Le jeûne en jour alterné améliorerait certains biomarqueurs, dont la masse grasse, le cholestérol LDL, les triglycérides, la sensibilité à l’insuline et la pression artérielle, et sans affecter la masse maigre. Contrairement à la restriction calorique, la perte de poids serait plus souvent maintenue dans le moyen à long terme avec le jeûne en jour alterné.
     En Chine, de nos jours, de plus en plus de recherches sont faites en milieu hospitalo-universitaire pour évaluer et tester l’effcacité du jeûne sur des pathologies diverses.
     Par exemple, les observations de jeûne par le docteur Guo Jian-hong (郭建红) (7) sur un groupe de
12 personnes de 21 à 49 ans (dont 4 ont interrompu le jeûne avant la fn des 7 jours en raison d’une sensation de faim trop prononcée), sur une période allant de 7 à 15 jours, avec soit un jeûne hydrique, soit la consommation de moins de 500 g de fruits par jour, accompagné quotidiennement de marche, de randonnée ou d’activité physique à basse intensité ont montré peu de manifestations désagréables, et une perte de poids de 6 à 20 kg.
     Guo Jian-hong (郭建红) a également montré l’efficacité du jeûne sur un cas d’apnée du sommeil réfractaire. Un jeûne hydrique de 7 jours (accompagné de 4 à 6 heures d’exercice de qigong et d’une marche de 20000 pas) a permis de réduire nettement le temps de ronfement pendant le jeûne et jusqu’à 2 mois après la fn du jeûne. Il a également permis de réduire de manière importante la durée et la fréquence des apnées du sommeil à 4 mois après la fn du jeûne (8).
    Le docteur Kuang Qiu-he (旷秋和), de 2000 à 2005, a utilisé une à deux cures de jeûne hydrique
de 7 jours (avec seulement consommation d’eau de source) pour soigner 28 patients atteints de gastrite chronique confrmée par l’observation des signes cliniques et par une gastroscopie. Le jeûne était précédé par 3 jours de pratique d’une technique respiratoire de la méthode d’ingurgitation du qi (tun qi fa 吞气法) et de pratique de daoyin 3 fois par jour. Il y a eu disparition de l’ensemble des symptômes chez 20 patients, amélioration notable des symptômes chez 7 patients, et absence d’effet pour 1 seul patient (9).
     Xu Feng ( 许 锋) a fait des expérimentations animales pour évaluer les effets d’un jeûne intermittent de 24h alterné avec la consommation de biscuits thérapeutiques (er) le jour suivant durant une période de 3 mois sur le poids et sur les marqueurs sanguins de la souris. Il conclue que ce type de jeûne avec consommation de biscuits thérapeutiques (er) permettrait de diminuer le poids et d’abaisser la glycémie et les triglycérides, sans porter préjudice à la qualité de vie, ni à l’hémogramme et aux marqueurs métaboliques du foie et des reins(10).
     Ren Qing-he ( 任 青 河) a fait pratiquer un jeûne souple (c’est-à-dire un jeûne hydrique avec absorption de 10g d’un substitut alimentaire 3 à 4 fois par jour [composition : fbres alimentaires et polysacharides de dongchongxiacao, de renshen, de lingzhi, de haizao, de houtougu et de gouqizi]) pendant 7 jours (avec 7 jours avant et après consacrés à la réduction alimentaire et à la reprise alimentaire progressives, donc 21 jours au total) chez 30 patients souffrant d’hypertension idiopathique (stabilisé par médication) âgés de 19 à 54 ans. Il a montré une diminution du poids, de l’indice de masse corporel et du tour de taille, une baisse de la pression systolique et de la pression diastolique (sans observer de sensation d’inconfort ou de symptômes chez l’ensemble des patients) (11).
Certaines études montrent que le jeûne intermittent pourrait protéger les cellules normales de la toxicité des agents anticancéreux, en réduisant les effets secondaires chez les patients et en augmentant les effets néfastes de la chimiothérapie, de la radiothérapie et de la thérapie ciblée sur les cellules tumorales.

Explications scientifques des effets du jeûne sur la santé humaine
    Autant les causes et les mécanismes de la mort par famine sont connus depuis très longtemps, même le Nei Jing en parle, cependant, les mécanismes physiologiques précis des effets bénéfques du jeûne sur la santé semblent être plus obscurs.
     Si on pratique un jeûne avec abstinence de nourriture mais avec apport d’un peu d’eau, alors ce faisant, on ne va pas « mourir après 7 jours» comme l’indique le Nei Jing, et même au contraire, la grande quantité d’énergie que le corps dépense habituellement tous les jours à chaque repas pour digérer et assimiler les aliments devient disponible pour effectuer d’autres tâches, comme, par exemple, favoriser les fonctions du système immunitaire et du qi défensif (wei qi), améliorer les fonctions de nutrition du qi nutritif (ying qi), soutenir les fonctions d’élimination par les émonctoires. Ainsi, les substances indésirables et les déchets accumulés dans le corps sont éliminés par les urines, les selles et la sueur ; certains tissus et organes qui habituellement sont un peu délaissés, sont à nouveau nourris, hydratés et fortifés correctement ; les fonctions de transformation du qi (qi hua) sont fortes et donc divers métabolismes sont favorisés De ce fait, la personne sent son corps s’alléger et certaines de ses capacités d’auto-régénération et d’autoguérison sont stimulées. Ces effets vont se prolonger quelques temps après la fin du jeûne. Le jeûne stimulerait les forces curatives de l’organisme.
     Le mécanisme physiologique d’autophagie, qui peut être stimulé par le jeûne, permet d’activer les mécanismes intracellulaires de protection et de recyclage d’éléments cellulaires indésirables ou endommagés, de pathogènes introduits dans la cellule et toutes sortes de déchets qui sont ainsi collectés et transportés vers les lysosomes pour être dégradés.       Le corps, en l’absence de sucre (causé par le jeûne), se nourrit de cellules malades ou mortes pour reconstruire de nouvelles cellules. Ces mécanismes d’autophagie sont présents normalement dans le corps humain, mais ils peuvent, en cas de dysfonctionnement, déclencher certaines maladies comme le cancer, la maladie de Parkinson, le diabète et certaines maladies génétiques et neurologiques. De plus, un système d’autophagie sain est lié à la longévité, alors qu’un système d’autophagie défectueux peut accélérer les symptômes du vieillissement.
     Des études médicales ont montré que le jeûne provoquait une élévation de l’hormone de croissance (somatropine). Cette hormone a pour rôle de multiplier la quantité de cellules présentes dans notre corps, de favoriser la croissance du corps, mais aussi de développer nos muscles et nos os. Elle lutte donc contre le vieillissement cellulaire en augmentant la production de cellules neuves. Elle permet aussi de brûler la graisse et de réguler la glycémie. A partir de 18h sans manger, les taux de cette hormone augmentent entre 500 et 2000%. Elle commence à être produite en plus grande quantité au fur et à mesure que le taux de sucre présent dans le sang diminue.
     Ainsi, ce processus d’autophagie et l’augmentation de l’hormone de croissance permettent une réparation de tous nos organes et toutes nos cellules : du foie, du pancréas, des reins, des muscles, des intestins, etc.
     Le facteur neurotrophique issu du cerveau (BDNF) est une protéine qui favorise la croissance et la multiplication des neurones présents dans le cerveau. Sa quantité serait doublée, voire triplée, durant le jeûne.
     Par ailleurs, la loi de l’hormèse qui consiste en une réponse bénéfque de stimulation des défenses biologiques (croissance tissulaire, amélioration de l’endurance, élimination des toxines, régénération cellulaire et tissulaire, stimulation immunitaire, etc.) face à des expositions à des substances toxiques ou face à des phénomènes générateurs de stress dans l’organisme (effort physique intense, hautes températures, basses températures, manque d’oxygénation, déshydratation, jeûne, etc.). Ainsi, le jeûne, qui peut être considéré comme un phénomène stressant sur l’organisme, va permettre au corps de se renforcer. Cependant, ce qui est extrêmement important à prendre en considération dans l’hormèse, c’est la phase de récupération et de repos après l’exposition du corps aux toxines ou aux phénomènes stressants.

Conclusion

     Quel que soit la culture, l’époque et le lieu, la nourriture est en lien avec quelque chose de sacré et en même temps de très vulgaire et primaire chez l’être humain. Vouloir intentionnellement se priver de nourriture dans un but d’entretien de la santé ou dans un but thérapeutique n’est pas quelque chose qui se conçoit instinctivement chez l’être humain. C’est probablement pour cela que de nombreuses personnes sont récalcitrantes au concept même du jeûne, considérant comme inconcevable que le fait de se priver de nourriture puisse avoir un quelconque bénéfice sur le corps ou sur l’esprit.
     Cela dit, ces dernières années, les recherches faites par le milieu médical offciel au sujet du jeûne sont de plus en plus nombreuses, et les résultats parlent d’eux-même en faveur de la pratique du jeûne.
     Cependant, il faut rester prudent, la frontière entre pratiquer un jeûne pour ses bienfaits sur le corps et se laisser entrer en état d’inanition peut parfois être mince. Ainsi, tout comme pour tous traitements (surtout en médecine chinoise), on devrait s’adapter absolument à la constitution du patient et à son état de santé physique et mentale. Certaines personnes peuvent très facilement ne pas manger pendant une journée sans faire absolument aucun effort et sans que cela ne porte à aucun préjudice, d’autres auront beaucoup de peine à sauter un seul repas dans la journée, tenaillés par la faim. Les réactions de chaque personne au jeûne sont différentes, certains souffriront peut-être beaucoup lors de la crise d’acidose ou lors de l’élimination des toxines, alors que d’autres auront des réactions plutôt légères. Certaines personnes bien préparées pourront aisément faire un jeûne long (de 6 jours à 21 jours), d’autres feront simplement des jeûnes intermittents de 10 à 20h.
     Les bienfaits du jeûne sur quasiment tout le monde semblent indéniables (sauf évidemment pour les dizaines de millions de personnes qui meurent de la famine chaque année dans le monde…), par contre, la manière de jeûner et la durée du jeûne ne peut absolument pas être la même pour tout le monde. Ainsi, entre un jeûne court intermittent de quelques heures, et un jeûne de plusieurs mois ou années afn de devenir un immortel taoïste, faites votre choix, toutes les nuances existent, les chemins vers la Voie sont innombrables et de toute beauté !

Notes : 
(1) Le daoyin ( 导引) est une pratique d’entretien de la santé et une technique médicale qui consisterait en des exercices impliquant la respiration consciente, la conduction du qi, des étirements et des auto-massages.
(2) Sun Si-miao (孙思邈) (541-682) est un médecin et taoïste très célèbre de la dynastie Tang ( 唐代). Il est appelé par les médecins des générations postérieures « le roi des herbes (yao wang 药 王) ». Il a étudié très sérieusement l e Nei Jing, le Shanghan Zabing Lun et le Shennong Bencao Jing et a très largement collecté les méthodes thérapeutiques et les formules utilisées par les médecins populaires de l’époque. Il est l’auteur du Qianjin Yaofang (千金要方) et du Qianjin Yifang (千金翼方), deux très volumineux ouvrages de médecine
(3) Dans la version de cette formule dans le Zhouhou Beiji Fang de Ge Hong (284-364), l’inscription est un peu différente : « On prend les pignons de pin (songshi) que l’on pile en une pâte dont on mélange 3 qian [4,5g] avec de l’alcool et que l’on administre ». (取松实捣为膏,酒调下三钱).
(4) Cette phrase de Ge Hong est inspirée d’une phrase du Dadai Liji (大戴礼记, 1er siècle Av.J.-C.) dans lequel il est dit : « Ceux qui mangent de la viande sont courageux et féroces ; ceux qui mangent des céréales sont intelligents et rusés ; ceux qui mangent du qi ont l’esprit clair (shen ming) et la longévité ; ceux qui ne mangent pas ne meurent pas et deviennent des esprits (shen) ». (食肉者勇敢而悍,食谷者智慧而巧,食气者神明而寿,不食者不死而神) ».
(5) Le daoyin ( 导 引) est une pratique d’entretien de la santé et une technique médicale qui consisterait en des exercices impliquant la respiration consciente, la conduction du qi, des étirements et des auto-massages. Le caractère « dao ( 导) » signife « transmettre, guider, conduire, diriger, éduquer » et le caractère « yin ( 引) » signife « conduire, guider, tirer, étendre, attirer, retirer ». Wang Bing inscrit : « Le daoyin c’est agiter les tendons [/les muscles] et les os, et mobiliser les articulations des membres. » (导引,谓摇筋骨,动支节). Wu Kun mentionne :
« Le daoyin consiste à mobiliser le qi des méridiens (jing qi) pour ne pas qu’il y ait de stagnation et ne pas qu’il se forme de maladie. » (导引运行经气,不使留滞为病也).
(6) Notons que le caractère « commun, populaire, vulgaire, banal (s u 俗) » est formé, dans sa partie gauche, du radical de « l’être humain (ren 人/亻) combiné avec, à droite, le radical signifant « bas de la vallée, ravin, lit d’un torrent, se trouver dans une impasse, situation diffcile, manque de ressource (gu 谷) » [ce caractère « gu (谷) est justement celui utilisé pour l’écriture simplifé du caractère « céréale (穀) »]. Alors que le caractère « immortel, extraordinaire, génie (xian 仙) » est formé, dans sa partie gauche, du radical de « l’être humain (ren 人/ 亻) combiné, à droite, avec le radical signifant « montagne, mont, colline, ermitage (shan 山) ». Pour simplifer et imager, on pourrait dire que dans les vallées et les territoires bas, vivent les gens du commun, le vulgaire peuple, et, dans les hauteurs, sur les montagnes, sont retirés des ascètes, des personnages extraordinaires, des immortels, s’isolant du reste du monde. Les premiers consommant une quantité importante de céréales pour s’alimenter, les seconds ayant des pratiques alimentaires particulières et ascétiques.
(7) 郭建红 ; 辟谷实践及探讨. 中医研究杂志[J]. 2011 年 1 月. 24-1 / Guo Jiang-hong ; Pratique et discussion autour du jeûne (bigu). TCM Research, January 2011, Vol. 24, No. 1.
(8) 郭建红 ; 中医辟谷技术治疗难治性睡眠呼吸暂停低通气综合征典型案例及其分析. 中国民间疗法[J]. 2020 年
2 月. 20-4 / Guo Jiang-hong ; Cas typiques et analyse du jeûne (bigu) en médecine chinoise pour traiter un cas de syndrome d’apnée du sommeil réfractaire. China’s Naturopathy, Feb. 2020, Vol. 20, No. 4.
(9) 旷秋和 ; 辟谷疗法治疗慢性胃炎 28 例. 中医民间疗法[J]. 2007 年 6 月. 15-6 / Kuang Qiu-he ; 28 cas de
gastrites chroniques traités par le jeûne (bi gu). Thérapie populaire en TCM, June 2007, Vol. 15, No. 6.
(10) 许锋; “辟谷食饵”对小鼠生理生化指标的影响. 实验动物与比较医学[J]. 2006 年 6 月. 26-2 / Xu Feng. Effects of ‘Pi Gu Shi Er’ on Health Metabolism in Mice. Experimental Animals and Comparative Medicine, June 2006, Vol. 26, No. 2.
(11) 任青河 ; 柔性辟谷技术改善高血压的初步研究. 中国食物与营养[J]. 2017 年. 23-8 / Ren Qing-he. Preliminary Study on Flexible Abrosia Technology to Improve Hypertension. Chinese Food and Nutrition, 2017, Vol. 23, No. 8.

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