Note sur la transmission du Dao
Discussion entre le maître Lu Chonghan et l'élève Liu Lihong
(3ème partie)
7 Mai 2006.
© Institut Liang Shen de Médecine Chinoise - Traduction : Abel Gläser
Note sur la transmission du Dao. Discussion entre le maître Lu Chonghan et l'élève Liu Lihong (2ème partie, 7 Mai 2006). Institut Liang Shen de Médecine Chinoise - Traduction : Abel Gläser
Présentation du cas clinique : Une jeune femme de 19 ans. La plainte principale concerne une rougeur, douleur et chaleur des membres inférieurs depuis six ans. La patiente a commencé à avoir ces symptômes à l'âge de 13 ans, au début ce n'était que très léger, et c'était atténué par des bains de pieds d'eau froide. En 2001 elle a commencé à avoir des aggravation au contact du froid et de l'humidité. En Juin 2004 la médecine occidentale a posé le diagnostic de vascularite systémique et a commencé à la traiter avec des antibactériens et des hormones sans résultat notable. En Juillet 2004 le diagnostic d'érythromélalgie est confirmé et traité en médecine occidentale, tous les symptômes obtiennent un soulagement. En décembre 2004 après avoir dansé excessivement tous les symptômes reviennent. À partir de Mai 2005 elle est obligé de faire des bains de pieds d'eau froide pour avoir un soulagement temporaire de la chaleur. Après cela elle vient progressivement à craindre le froid et à avoir le haut du corps froid et le bas du corps chaud. À ce moment il lui a été donné des produits à base d'insectes notamment pour débloquer les méridiens, mais la douleur s'est aggravée. Dans la deuxième moitié de l'année 2005 la maladie devient si intense qu'elle est obligé d'interrompre ses études. À ce moment elle doit se tenir la tête en bas et les pieds en l'air pour obtenir un soulagement de ses symptômes, elle reste comme cela en position renversée parfois jusqu'à 20 heures par jour. Au début de l'année 2006 elle est hospitalisée afin de faire un traitement systématique en médecine chinoise. Au début les médecins considèrent qu'il s'agit d'un vide de yang avec stase de sang et froid coagulé qui se noue dans les vaisseaux, on lui donne Dangguisini tang et Yanghe tang. Ils ont ensuite utilisé Huangqiguizhiwuwutang combiné avec Sanwuhuangqin tang comme traitement de la chaleur du sang. Puis ils ont donné Maxingyigantang, Wendan tang et Guizhilonggumuli tang pour traiter le vent humidité noué qui obstrue et la stase de sang bloquée dans les luo. En même temps ils ont effectué un traitement de médecine occidentale au niveau du système sympathique lombaire, mais les résultats de tout cela n'ont pas été idéaux et la patiente a développé une ulcération sur les membres inférieurs en plus de la rougeur et des gonflements. Fin février 2006 sa température a baissé, et est devenue plus basse que la normale. Les médecins lui ont donné Lujiaodihuang wan, après les prises la sensation de froid aux membres supérieurs s'est aggravée. En Avril apparaît progressivement une apathie psychique, qui est due selon les médecins traitants à un déficit en potassium créant la maladie cérébrale. Après trois jours de sommeil léthargique les deux membres inférieurs sont naturellement apaisés, elle n'a plus besoin de faire des bains de pied d'eau glacée. La patiente présente actuellement les extrémités des membres inférieurs rouges, gonflées et ulcérées, chaudes et qui démangent, sa vigueur n'est pas stimulée, il y a perte d'appétit, le teint est verdâtre, sombre et terne, la langue est pâle avec empreinte dentaire, le pouls est serré et rapide, les deux loges du pied (chi) sont sans racine.
Discussion :
Lu Chonghan : « D'après la condition de la patient, qu'elle n'ait plus besoin de faire des bains de pieds d'eau glacée, ce n'est pas quelque chose de facile. Ce genre de maladie a un taux de survenu très faible. J'ai eu la chance de rencontrer ce genre de patient auparavant. La première fois ce fut dans les années 1970, il s'agissait d'un homme de Chongqing, c'était une situation très proche de la situation de notre patiente actuelle. Cet homme d'âge moyen devait aussi se mettre à l'envers, mais seulement à un angle de 45°par rapport au sol, et il devait rester dans cette position allongé à 45° la tête en bas 24 heures sur 24, dès qu'il s'allongeait à l'horizontal cela lui devenait insupportable. Lorsque j'avais vu sa situation j'avais bien ressenti sa souffrance, dans cette position toute la journée. De la même manière que notre patiente actuelle, ce patient devait se faire des compresses froides, car comme il ne pouvait pas se redresser il lui était impossible de prendre des bains de pieds d'eau glacée, alors il utilisait des compresses froides qu'il changeait constamment. Sa situation clinique était à peu près la même que la patiente d'aujourd'hui. D'après la présentation qu'il nous a été faite de tout le processus de traitement mis en œuvre autant en médecine occidentale moderne qu'en médecine chinoise il semble qu'il y ait eu quelques résultats, mais est-ce vraiment de bons résultats.
Alors il est difficile de poser une conclusion exacte. Si on considère la situation actuelle, après qu'il soit apparu dans sa pathologique une situation d'hibernation (les trois jours de sommeil léthargique), c'est-à-dire une maladie cérébrale due à un taux très bas de potassium, il semblerait que ses symptômes se soient améliorés, mais l'état générale révèle une insuffisance de yang encore plus marquée. Particulièrement au niveau du pouls qui révèle précisément la situation. Il faut être attentif au pouls ici, qui est un pouls serré (jin) et rapide (shuo), le pouls serré c'est le froid, le pouls rapide c'est la chaleur. Mais alors qu'est-ce qui domine ? Il n'y a pas de racine au pouls ! Les deux loges du pied (chi) sont sans racine. Il s'agit d'un pouls typique d'insuffisance de yang. Tous les symptômes cliniques qu'elle présentait précédemment soutiennent ce diagnostic. Les symptômes manifestent la situation d'une patiente avec chaleur en bas et froid en haut, il semblerait qu'il y une insuffisance de yang en haut, et un excès de yang en bas. C'est une situation où le yin et le yang se repoussent. D'habitude on parle de repoussement interne-externe du yin yang, ici il s'agit d'un repoussement haut-bas du yin yang. Théoriquement lorsqu'on parle de repoussement haut-bas, habituellement il y a chaleur en haut et froid en bas, et pas chaleur en bas et froid en haut comme notre patiente, mais il est très bien que cette patiente présente cette forme de manifestation, ainsi cela peut augmenter notre observation clinique. Cette patiente jusqu'à maintenant a déjà utilisé de nombreuses méthodes, et en réalité certains ont déjà réfléchi à ce que je propose comme diagnostic, mais pas assez en profondeur, car la racine de la maladie de cette patient est une insuffisance de yang. Ce que la patiente a manifesté ces derniers jours et en réalité une manifestation du syndrome de Sini (Sini zheng四逆证), son expression était apathique, elle ne répondait pas aux questions posées, sa température corporelle baisait.
Ensuite il y a un autre problème, lorsque on regarde les étapes de traitements précédents, jusqu'à aujourd'hui il a été utilisé de fortes doses de produits pour clarifier la chaleur et rafraichir le sang. Mais avant l'utilisation de ces produits qui clarifient la chaleur et rafraichissent le sang y avait-il cette situation ? manifestement non. À mon avis peu importe que ce soit avant ou après l'apparition de ces symptômes, cette maladie doit être attribuée au yang, si au tout début des traitements de cette patiente on avait saisi l'aspect de l'insuffisance de yang, je pense que la situation par la suite aurait peut-être été meilleure. Le patient de Chongqing que j'avais rencontré, comment est-ce que je l'avais traité ? Comme le pouls le soutenait j'avais utilisé Sinibaitong tang. Sur ce point Liu Lihong est très au clair, c'est la méthode de Sinibaitong qui a résolu son problème. Résultat, ses sensations de chaleur ont très vite diminué.
Ce patient est assez proche de la patiente d'aujourd'hui, il avait été utilisé toute sorte de traitement en médecine occidentale moderne. Il y a cependant un point qui n'est pas similaire, pour le patient de Chongqing cela n'avait pas mené à des infections fongiques et à des ulcérations de la peau. Mais cette ulcération de la peau n'est pas très importante par rapport à sa maladie, si on considère son problème de peau, on va surement faire un détour. Concernant sa pathologie le plus important est de savoir si on peut ou pas saisir la racine. Mais quelle est cette racine ? Sur ce point le Su Wen au chapitre 5 est très clair, c'est l'agencement du yin yang. Ce point doit être très clair, si ce point n'est pas clair en nous même, comment va-t-on se mettre à l'oeuvre ? Bien sûr, il y a un autre point, c'est que cette patiente ne va surement pas bien coopérer, peut-être qu'elle ne va pas bien comprendre notre fil de pensé pour le traitement. Parce qu'en suivant ce raisonnement pour le traitement peut-être que la patiente va subir quelques petites instabilités. Donc d'un côté il faudra bien expliquer à la patiente, de l'autre côté le médecin devra agir en toute connaissance de cause. Parce que du point de vue des patients ou de leur famille, ils espèrent toujours qu'après avoir pris deux bols d'herbes les symptômes vont être grandement diminués, ou qu'ils vont obtenir une amélioration notable. Ceci en réalité est une illusion. Pour ce genre de pathologie ce n'est pas possible. Ce sera un long processus. Je pense qu'il est primordial de communiquer avec les patients, particulièrement avec la famille des enfants qui viennent consulter.
Cette patiente est malade depuis 6 ans, avec aggravation depuis 2 ans, depuis 2003 les symptômes sont de plus en plus manifestes. Avant ils se produisaient par intermittence, maintenant ils sont continus. Ses manifestations actuelles sont suffisamment typiques. À partir du pouls, à partir des manifestations cliniques, à partir de nos organes des sens, cette maladie est très typique. Évidemment, récemment est apparu une manifestation de conscience apathique, selon la médecine occidentale moderne il s'agit d'une maladie cérébrale par déficit en potassium, mais si on regarde selon la médecine chinoise, on peut voir apparaître beaucoup de chose. Le problème actuel est ce qui apparait en clinique, si on considère du point de vue de la médecine occidentale moderne tout est normal, mais du point de vue de la médecine chinoise cela ne l'est pas. En tant que médecin traditionnel chinois si on réfléchi du point de vue de la médecine occidentale moderne, ce n'est pas de nos devoirs. Comment augmenter le niveau de la médecine chinoise ? Les anciens disaient : « après neuf échecs on peut être un bon médecin », si on n'accepte pas de subir un ou deux échecs comment pourrait-on réussir ? Ainsi pour ce genre de patient j'ai tendance à penser que la condition préalable à considérer soit qu'il faille soutenir le yang pour l'essentiel. À partir de cette condition il faudra d'abord considérer la rate et les reins. Par rapport à ce cas clinique j'espère que Liu Lihong pourra nous faire part de son point de vue.
Liu Lihong : Chez cette patiente l'aspect de l'insuffisance de yang est typique, mais pour de nombreux patients qui présentent une insuffisance de yang ils vont manifester de la chaleur en haut et du froid en bas, c'est exactement l'opposé pour ce cas-ci. La situation où il y a chaleur en haut et froid en bas est assez facile à comprendre, parce que le froid en bas c'est l'insuffisance de yang véritable (zhen yang真阳), le feu du dragon ne peut pas aisément rentrer dans sa demeure, comme il ne rentre pas dans sa demeure il produit un feu flottant en haut, et donc se forme la disposition de la chaleur en haut et du froid en bas. Et pour le présent cas il s'agit en réalité [du yin et du yang] qui se repoussent. La situation du froid en haut est assez bien compréhensible car le diagnostic du teint, de la langue, du pouls ainsi que les symptômes sur certaines zones soutiennent la présence de ce froid. Mais la clé est la connaissances concernant les membres inférieurs.
Lu Chonghan : Les manifestations de chaleur au niveau des deux membres inférieurs sont en réalité une fausse manifestation. Mais la patiente justement accorde beaucoup d'importance à cette fausse manifestation, et elle a ainsi guidé les médecins pour qu'ils suivent cette fausse manifestation. En raison du fait que ce genre de patient se voit assez peu en clinique, cela a pu influencer la différenciation de ce qui est vrai manifestation de ce qui est fausse manifestation. Cela dit, si on peut du début à la fin faire la différenciation sous l'angle du yin yang, pour discerner si finalement la maladie appartient au yin ou appartient au yang, alors peu importe la complexité de la maladie, nous pourrons toujours la rendre simple. Si on regarde à partir de la situation de cette patiente, sur de nombreux de points elle soutient notre différenciation. Si on regarde à partir de l'ensemble de l'historique de sa pathologie, pourquoi est-ce que les symptômes s'aggrave après avoir fait du sport ? Après 2004 il y a eu une période de rémission, mais il y a eu une grave rechute après avoir dansé. Quel est le sens de ceci ? C'est parce qu'en s'activant, en dansant, cela a blessé le yang qi. À la base cette patiente est en insuffisance de yang, ce n'est pas facile pour elle d'accumuler un peu de yang originel, résultat ce yang est à nouveau consommé et dispersé. Dès que le yang qi est consommé évidemment que la maladie rechute. Nous savons uniquement que le mouvement produit du yang, mais il faut aussi connaître l'autre aspect de ceci, le mouvement peut consommer le yang. Lorsque nous épluchons ainsi la question, cela soutient notre décision ci-dessus concernant le diagnostic. Je suis persuadé qu'il y a deux ans auparavant elle n'avait pas ce teint là, son teint devait être bien meilleur. Maintenant bien que d'après ses propres sensations elle se sente mieux, cependant son yang est encore plus affaibli ! Le pouls qu'elle présente maintenant ne soutient pas l'amélioration de sa situation. Si la situation de cette patiente ne connait pas un renversement, qu'elle continue à se développer dans le mauvais sens, il est très probable que survienne une modification aigüe et grave. À ce moment très probablement que ses pieds seront froids.
Liu Lihong : L'idée de mon maître c'est que la manifestation du pouls actuel ne soutient pas l'amélioration de la situation pathologique. Cette soit-disant amélioration n'est pas une bonne chose. Si cela continu comme cela, et que ses pieds deviennent froids, la maladie à ce moment là sera très difficile à traiter.
Lu Chonghan : C'est tout à fait cela. Il ne s'agit pas d'une amélioration car les deux pouls aux loges du pied (chi) n'ont pas de racine ! Si on prend le pouls de manière générale, vous l'éprouver attentivement, c'est un pouls serré (jin) et rapide (shuo), en réalité c'est une manifestation de vide. Concernant le pouls, tout le monde doit faire de grands efforts pour étudier consciencieusement, le pouls est d'une grande importance. Auparavant quand nous enseignions nous disions seulement que lors d'un vide de yang le pouls serait lent (chi). Mais lors d'un vide de yang le pouls peut-il être rapide (shuo) ou pas ? Le pouls rapide (shuo) peut aussi être présent lors d'un vide de yang ! Il est possible que cela paraisse embrouiller les choses, mais en clinique il en est véritablement ainsi ! Il s'agit d'un signe du stade préliminaire à l'affaiblissement du yang, si nous ne faisons pas bien les choses l'affaiblissement du yang surviendra vraiment. Donc concernant le traitement, par rapport à notre analyse ci-dessus et à la situation pathologique de la patiente, tout soutient ce diagnostic. La température de la patiente est très basse, pourquoi sa température est-elle aussi basse ? Les traitements en médecine occidentale moderne ont entrainé une perte du contrôle de la régulation de la température corporelle. Mais si on considère cela d'un point de vue de la médecine chinoise, quelle en est la raison ? Donc selon ce point de vue, cela soutient aussi l'insuffisance de yang de cette patiente. Si nous pouvons saisir ce point, et appréhender cela sous l'angle de l'insuffisance de yang, nous pourrons ouvrir une voie de réflexion. Car la difficulté dans le diagnostic réside dans la difficulté à différencier le yin et le yang. Bien que le yin yang soit une vérité très simple, dans les situations des syndromes yin et des syndromes yang, et des syndromes qui semblent être des syndromes yang mais qui ne sont pas des syndromes yang, et ceux qui semblent être des syndromes yin mais qui ne sont pas des syndromes yin comment fait-on pour saisir l'essentiel ? À l'intérieur de cela se trouvent de grandes difficultés. Ainsi concrètement dans l'établissement de la méthode et de la formule (li fa fang立法方), nous en avons déjà parler, il va falloir se mettre à l'oeuvre à partir de la rate et des reins, en mettant l'accent en bas au niveau du yang des reins. Mais si nous commençons tout de suite à utiliser les herbes en accordant plus d'importance sur le foyer inférieur et sur le yang des reins, il est fort possible que la patiente ne supporte pas le traitement, qu'elle n'accepte pas les herbes. Parce qu'il y a encore un problème, c'est un point que l'on ne peut pas négliger peu importe sous quelle angle on aborde le problème. Ce point capital c'est que son yang du centre n'est pas animé, elle n'a pas envie de manger, lorsqu'elle mange elle a des nausées. L'envie de vomir est une manifestation typique du yang du centre qui n'est pas animé, c'est cela qui a amené le modèle pathologique que l'on observe à présent. En se basant sur ce modèle il faut tiédir le centre, il faut réchauffer le foyer inférieur, il faut saisir la racine, ainsi la maladie pourra avoir une tournure favorable.
Je lui ai prescrit deux formules :
Première formule : guang huoxiang 15g, cangzhu 15g, banxia 20g, nan shanzha 20g, baidoukou 12g, sharen 15g, chenpi 15g, baizhi 15g, shengjiang 20g. Trois doses.
Deuxième formule : Zhi fuzi 60g (ensacher à part, d'abord cuire séparément deux heures), sheng baizhu 15g, sharen 15g, yinyanghuo 20g, zhi gancao 5g, ganjiang 20g, shengjiang 20g. Trois à six doses.
Question d'un médecin présent : Comment utilise-t-on ces deux formules ? En alternance ? Ou bien administré en même temps ?
Lu Chonghan : d'abord elle doit prendre la première formule, c'est ce que je viens de dire, il faut réchauffer le centre, faire descendre le contre-courant, si on ne réchauffe pas le centre et qu'on ne fait pas descendre le contre-courant, fuzi ne pourra pas être reçu au foyer inférieur, fuzi doit se rendre au foyer inférieur ! Si le yang du centre n'est pas animé, que le foyer central n'est pas ouvert, après la prise des herbes le patient ne pourra pas les accepter. Cette patiente au début avait pris des formules qui contenait fuzi, mais alors pourquoi n'a-t-elle pas pu persévérer ? Je crains que ce ne soit à cause de ce problème qui n'avait pas été bien réglé.
Liu Lihong : C'est-à-dire qu'il faut des conditions préalables pour permettre à fuzi de pénétrer au foyer inférieur.
Lu Chonghan : Exactement ! Si fuzi ne pénètre pas au foyer inférieur, comment son yang qi du foyer inférieur pourrait-il monter ?! Le foyer moyen est le pivot des mécanismes du qi, c'est seulement si le pivot est mobile que la voie pourra être ouverte. À ce moment, il est possible de ne pas prendre en considération son problème aux jambes, nous allons réfléchir à partir de la racine. Auparavant presque tous les traitements ont considéré son problème aux jambes, son système nerveux, ses vaisseaux sanguins, etc., je pense qu'il faut changer de façon de penser. Le Nei Jing dit : « pour traiter les maladies il faut chercher à la racine », il semble que tout le monde comprenne cela, mais concrètement lorsqu'on est face au problème comment faire ? Si comme pour cette patiente nous considérons son problème aux jambes, au niveau du système nerveux, artériel ou au niveau de chaque valeur de médecine moderne, alors manifestement ce n'est pas chercher la racine.
Je baigne dans la médecine chinoise depuis tout petit, à 16-17 ans je donnais déjà des consultations, et cela dans un hôpital d'état. Évidemment cela est assez particulier. J'ai exercé comme cela pendant plus d'une dizaine d'année avant d'aller à l'université de médecine chinoise de Nanjing me perfectionner. C'est une université qui a une certaine influence en Chine. Liu Lihong est lui même diplômé d'un doctorat de l'université de Nanjing. Lors de mes études à l'université, une partie importante du contenu était la médecine occidentale moderne. Ainsi en clinique je vais aussi parfois utiliser ces connaissances de médecine moderne, mais cela ne va pas guider ma différenciation de syndrome en médecine chinoise. Je considère que les connaissances de médecine moderne pour certaines pathologies valent la peine d'être utilisées et consultés. De cette manière cela peut aider à maitriser de façon générale l'évolution de la maladie, et plus important, cela nous aide à communiquer avec les patients, mais sans nous baser sur les méthodes thérapeutiques en médecine occidentale moderne pour traiter.
Actuellement je donne des cours à l'université de médecine chinoise de Chengdu, un cours sur les théories fondamentales en médecine chinoise, l'autre sur le diagnostic en médecine chinoise. Et je dis aux étudiants que nous discutons de médecine occidentale moderne avec qui ? Et bien avec les patients. Parce que les patients de nos jours n'ont pas de connaissances suffisantes en médecine chinoise, peut être est-ce car ces dernières années elle n'a pas été assez diffusée, et ainsi les gens ne savent pas le nom des maladies en médecine chinoise. Si quelqu'un tombe malade, il va téléphoner à sa famille et dire « j'ai telle maladie », mais il ne va certainement pas utiliser le nom de la maladie en médecine chinoise. Il va dire « j'ai un ulcère », « j'ai une gastrite », « j'ai une maladie coronarienne ». Il ne va surement pas dire à ses proches « j'ai un bi de la poitrine (xiong bi胸痹), parce que ses proches ne savent pas ce qu'est un bi de la poitrine (xiong bi胸痹). Mais les noms des maladies en médecine occidentale moderne sont rentrées dans le cœur des gens. À ce niveau là, en médecine chinoise nous avons mal fait notre travail, les chinois ne connaissent pas les noms des maladies en terme de médecine chinoise, c'est assez désolant.
Parmi les nombreuses pathologies que nous traitons, par exemple l'anémie aplasique, comment déterminer s'il y a amélioration ou guérison? À ce moment là les examens en médecine occidentale moderne sont très importants parce que le patient y croit. On fait faire un examen de sang, si les fonctions d'hématogénèse se rétablissent, on fait une culture de cellules souches, et si tous les indices sont normaux le patient est convaincu. S'il n'y a pas ces examens il n'est pas possible d'utiliser la logique pour convaincre le patient. C'est pourquoi je dis souvent que les patients veulent approuver deux normes, la première c'est la disparition des symptômes, la deuxième c'est l'amélioration complète des valeurs d'examens en médecine moderne. C'est ce que j'appelle la combinaison de la médecine chinoise et de la médecins occidentale moderne (zhong xi yi jiehe中西医结合). La médecine moderne n'utilise quasiment pas de traitement en chinois, je ne considère jamais l'utilisation de médicament de la médecin occidentale moderne. Bien que j'ai étudié les deux, la médecine chinoise et la médecine occidentale, en clinique je n'ai jamais utilisé un seul cachet de médecine occidentale moderne, et jamais fait une seule piqure à mes patients. Une seule fois j'ai fait faire une perfusion à un patient. Depuis toutes ces années, pour tous les patients que j'ai traité et qui ont guéri, ce que j'appelle guéri c'est lorsque les deux normes (des symptômes et des examens médicaux) sont complètement normaux, je me suis basé sur quoi ? Entièrement sur la médecine chinoise !
Question d'un médecin présent : Professeur Lu, je voudrais vous demander à quel moment commencer à utiliser la deuxième formule ?
Lu Chonghan : Après avoir pris la première formule et lorsque les symptômes au niveau du foyer moyen se sont améliorés, il est possible d'utiliser la deuxième formule.
Question d'un médecin présent : Et le pouls devra aussi avoir une modification correspondante ?
Lu Chonghan : Son pouls devra se modifier, il devra devenir un peu plus profond (chen).
Question d'un médecin présent : Sera-t-il encore rapide (shuo) ?
Lu Chonghan : Le pouls (shuo) rapide devra devenir profond (chen) et modéré (huan)
Question d'un médecin présent : Comment est son pouls actuellement ?
Lu Chonghan : C'est un pouls serré (jin) et rapide (shuo).
Question d'un médecin présent : La patiente a-t-elle un pouls profond (chen) et rapide (shuo) ?
Liu Lihong : Pas encore, il est encore un peu flottant (piao).
Lu Chonghan : J'ai pris son pouls assez longtemps, il est déjà flottant (fu), les deux loges du pied (chi) sont sans racine, ses symptômes sont des fausses manifestations, c'est pour cela qu'il est possible que des problèmes surviennent !
Question d'un médecin présent : Donc lorsqu'on observera un pouls profond et avec une racine, alors seulement ce sera un signe d'amélioration.
Lu Chonghan : Exact ! Après la prise de la deuxième formule, le pouls de la patiente devra lentement devenir profond (chen) et avec une racine. Les autres aspects de la situation devront aussi progressivement s'améliorer. Évidemment, ce n'est pas dire qu'après avoir pris la deuxième formule le patient sera guéri, mais au moins avec ce fil de pensé il sera possible de traiter cette pathologie. J'ai eu la chance de traiter une dizaine de patient de ce genre, ce fut un succès quasiment pour tous. Cependant aucuns ne présentaient de problème de peau avec ulcération comme cette patiente. Mais il présentaient tous une situation de rougeur ou coloration violacée de la peau.
Question d'un médecin présent : Quelle est la méthode d'administration de la première formule ?
Lu Chonghan : Ces herbes doivent être administrées chaudes. La patiente a dit qu'elle aimait manger chaud, qu'elle n'avait pas envie de froid, lorsqu'elle consomme des produits froids elle ne se sent pas bien, donc il faut prendre la décoction chaude. Ensuite il faut administrer la formule une heure avant ou après les repas. Si après la prise de ces herbes elle a envie de vomir, car elle présente déjà une situation où lorsqu'elle mange elle a des nausées, ce n'est pas grave, même si elle vomit il faut qu'elle continue à prendre les herbes, si seulement elle peut en absorber un peu alors ses symptômes s'amélioreront.
Question d'un médecin présent : Si elle vomit dès la première prise, faut-il continuer sans trop en tenir compte ?
Lu Chonghan : Cela ne fait rien, mais il faut expliquer cela clairement à la patiente. Si la première formule peut améliorer la présente situation de nausées, vomissements, perte d'appétit, etc, alors il sera possible d'utiliser la deuxième formule, et la méthode d'administration sera la même.
Liu Lihong : Il faut cependant faire attention lors de la préparation de la deuxième formule, fupian (fuzi) doit être mis à part et cuit pendant deux heures d'abord avant d'incorporer les autres herbes.
Lu Chonghan : De plus pour fupian (附片) (fuzi) le mieux est d'utiliser tianxiongpian (天雄片), tianxiongpian c'est le fupian blanc, il ne faut pas utiliser huangfupian (黄附片 fupian jaune) ou heifupian (黑附片 fupian noir), car le heifupian est souvent traité avec du sel.
Liu Lihong : Il faut faire attention ce n'est pas baifupianzi (白附片子), il y a trois sortes de fupian : la première est huangfupian (黄附片 fupian jaune), la deuxième est wufu (乌附) qui est de couleur noire, la troisième c'est baifupian qui est blanche et que l'on appelle aussi tianxiongpian, il est conseillé d'utiliser la blanche. Baifupian et baifuzi sont deux familles différentes, baifuzi est de la famille des araceae (天南星科) et tianxiongpian est de la famille des renunculacea (毛莨科).
Question d'un médecin présent : Si en prenant la deuxième formule la patient ne se sent pas bien comment faire ? Si elle a nouveau les manifestations d'inconfort dans tout le corps comment faire ?
Lu Chonghan : Il est possible qu'au début de la prise de la deuxième formule cela apparaisse, parce qu'on utilise de forts dosages d'herbes piquantes et tièdes qui peuvent créer une agitation, chez certain patient il n'y a aucune manifestation. Mais nous voulons l'agiter, la mettre en mouvement, c'est seulement s'il y a cette mise en mouvement que nous pourrons arriver à une réunion du yin et du yang.
Liu Lihong : Ce que veut dire mon maitre c'est que la patiente présente une situation de yin et de yang qui se repoussent, il faut utiliser des herbes yang pour la stimuler, pour la remuer, il n'y a que si le repoussement réciproque du yin yang est stimulé, mis en mouvement, qu'ils vont pouvoir se réunir, et que l'on va pouvoir observer des résultats, mais cela nécessite une étape.
Lu Chonghan : Exact ! Je pense qu'il faut clairement communiquer avec le patient, il faut obtenir sa confiance et sa compréhension, de cette manière il pourra collaborer au traitement.
Question d'un médecin présent : Est-il possible d'utiliser fuzi en commençant par des petits dosages et en augmentant progressivement ?
Lu Chonghan : Les petits dosages ne produiront pas d'effets, la posologie de fuzi pour cette formule est déjà la plus basse possible.
Question d'un médecin présent : Après avoir fait la décoction, on obtient par exemple environ 250mL de liquide, est-il possible d'administrer de petites quantités en plusieurs fois ? Ou bien faut-il l'administrer en une fois ?
Lu Chonghan : Si on considère la situation de la présente patiente [avec des problèmes au foyer moyen] on peut donner la décoction en plusieurs fois, cependant les résultats seront moins bons, mais la patiente pourra plus facilement s'accoutumer. Au début on peut l'administrer comme cela, par exemple 50mL en une fois, ou 100mL en une fois, et après un intervalle de temps, on administre encore une fois. Mais une fois que la patiente s'est habituée cela n'est plus nécessaire. En clinique nous n'encourageons pas à faire ainsi, car en administrant les herbes de cette manière il n'est pas facile d'obtenir une concentration suffisante [de ce qui peut être assimilé de la décoction] dans le sang.
Question d'un médecin présent : Vous avez dit auparavant que cette patiente en faisant du sport, en dansant cela a blessé le yang qi et aggravé les symptômes. Et vous avez indiqué que le mouvement pouvait produire du yang et pouvait aussi consumer le yang, mais alors sous quelles conditions peut il produire le yang ? Le Nei Jing ne dit-il pas : « le printemps et l'été nourrissent le yang, l'automne et l'hiver nourrissent le yin » ? Maintenant nous sommes à la période du printemps et de l'été, est-ce que cet environnement et ce climat serait bénéfique pour sa maladie ? Cela va promouvoir l'action de soutenir le yang ou bien contrôler cette action ? Encore une question, quel est votre point de vue concernant le pronostic de cette patiente ? Sous l'angle de la médecine chinoise comment considérer le pronostic de cette maladie ?
Lu Chonghan : Le mouvement peut produire le yang, il peut aussi consumer le yang. Mais alors finalement ça le produit ou ça le consume ? Pour cela il faut observer la condition de base du malade. Pour cette patiente, sa fonction de production de yang est déjà très faible, alors si elle se met en mouvement, si elle s'active cela va encore plus consumer le yang. Dans une situation normale, nous consumons du yang à chaque instant, lorsque je parle je consume du yang, je consume du qi, la réflexion consume également du yang, mais si notre fonction de production de yang est normale, notre yang va rapidement être complété. Dans cette situation le mouvement produit du yang. Car d'un côté cela renforce la circulation du yang, d'un autre côté cela stimule les fonctions du yang. Mais pour cette patiente ce n'est pas pareil, la racine de son yang qi est déjà insuffisante, le mouvement va consumer beaucoup et produire peu de yang qi, ce qui va aggraver sa condition pathologique. Concernant la deuxième question nous allons aller dans le sens de sa situation pour aider son yang. Normalement le printemps et l'été nourrissent le yang, ce qui est favorable pour elle, cela s'appelle profiter de l'avantage de la situation (shun shi顺势). Ensuite concernant le pronostic, si son yang qi peut obtenir une bonne production, si le yin et le yang peuvent s'unir réciproquement, elle pourra avoir une bonne amélioration puis finalement être entièrement améliorée, ainsi le pronostic sera très bon. Mais si nous ne saisissons pas cette occasion, si nous réfléchissons à partir d'un autre point de vue alors nous continuerons à endommager sa racine, alors les fondations de sa vie vacilleront et le pronostic sera très mauvais, les perspectives ne seront pas bonnes, de nombreuses modifications pathologiques pourront surgir, de grandes modifications pourront survenir. À ce moment là il ne sera pas question de traiter son érythromélalgie mais de sauver sa vie. C'est pourquoi nous devons saisir cette occasion, saisir la racine pour soutenir le yang.
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