Les trente six maladies gynécologiques
(dai xia san shi liu bing 带下三十六病)
de Zhang Zhong-jing et Sun Si-miao
Compilation et traduction par Abel Gläser
Publication : février 2016
L'expression « trente-six maladies (san shi liu bing 三十六病) » est issue de l'article 8 du chapitre 22 du Jingui Yaolüe. Elle désigne trente-six sortes de maladies gynécologiques. Mais Zhang Zhong-jing dans son ouvrage ne détaille pas quelles sont ces trente-six maladies.
Par bonheur, Chao Yuan-fang (巢元方) dans le chapitre 50 du rouleau 38 du Zhubing Yuanhou Lun (诸病源候论), publié en 610 sous la dynastie Sui, nous précise cela en disant :
« Les douze masses abdominales (zheng 癥), les neuf douleurs (tong 痛), les sept endommagements (hai 害), les cinq blessures (shang 伤), et les trois maladies fixes [et/ou chroniques] (gu 痼), sont ce qu’on nomme les trente-six maladies (san shi liu ji 三十六疾). »
« Les douze masses abdominales (zheng) sont fonctions [de l'aspect] des pertes de substances [par le vagin] : un, [les pertes] sont comme un onguent (gao 膏) ; deux, elles sont comme du sang foncé ; trois, elles sont comme un jus violet ; quatre, elle sont comme de la viande rouge ; cinq, elles sont comme du pus et des croutes ; six, elles sont comme du jus de soja ; sept, elles sont comme le potage de mauve crépue (Malva verticillata) [c'est-à-dire verdâtres] ; huit, elles sont comme du sang coagulé ; neuf, elles sont comme du sang clair, le sang est comme de l'eau ; dix, elles sont comme du jus de riz ; onze, elles sont comme l'eau de lessive ; douze, les menstruations ne correspondent pas à la période. »
« Les neuf douleurs (tong) sont : un, la douleur par blessure dans les organes génitaux ; deux, la douleur par strangurie (lin) ; trois, la douleur lors de l'émission d'urine ; quatre, la douleur par froid ; cinq, les douleurs abdominales lorsque les règles surviennent ; six, la plénitude (man) du qi accompagnée de douleurs ; sept, l'écoulement de liquide avec douleur comme une morsure dans les organes génitaux ; huit, les douleurs de la peau sous la région thoracique latérale ; et neuf, les douleurs lombaires. »
« Les sept endommagements (hai) sont : un, l'endommagement alimentaire ; deux, l'endommagement du qi [notamment les perturbations des mouvements du qi par les émotions] ; trois, l'endommagement par le froid ; quatre, l'endommagement par le surmenage physique (lao) ; cinq, l'endommagement par les excès sexuels ; six, l'endommagement par les grossesses ; et sept, l'endommagement par le sommeil [non réparateur]. »
« Les cinq blessures (shang) sont : un, les douleurs de la vulves ; deux, les douleurs dans [les organes génitaux] avec froid et chaleur ; trois, les douleurs aigües et tenaces du bas-ventre ; quatre, l'insensibilité de l'utérus ; et cinq, la non rectitude du col de l'utérus qui provoque des douleurs du dos. »
« Les trois maladies fixes (gu) sont : un, les aménorrhées avec blocage ; pour les deux autres maladies fixes, le texte est manquant, il n'y a pas d'inscription. »
« Cependant, lorsque Zhang Zhong-jing parle des trente-six sortes de maladies, elles ont toutes pour cause le froid de l'utérus, la consomption par chaleur (re lao sun), et la combinaison avec [les maladies] sous le dai[mai] (dai xia 带下) , qui commencent à l'intérieur du yin. Ces passages sont assez confus, et comportent des différences avec les autres livres. Mais les significations de Zhang Zhong-jing sont profondes, et ce ne sont pas les ignorants comme moi qui peuvent les comprendre. Bien que je craigne que ce passage [et ceux de Zhang Zhong-jing] soient différents, leurs significations et leurs principes sont réellement similaires. »
(十二癥,九痛,七害,五伤,三痼,谓之三十六疾也。十二癥者,是所下之物,一者如膏,二者如青血,三者如紫汁,四者如赤肉,五者如浓痂,六者如豆汁,七者如葵羹,八者如凝血,九者如清血,血似水,十者如米汁,十一者如月浣,十二者经度不应期也。九痛者,一者阴中痛伤,二者阴中淋痛,三者小便即痛,四者寒冷痛,五者月经来腹痛,六者气满并痛,七者汁出,阴中如啮痛,八者胁下皮痛,九者腰痛。七害者,一者害食,二者害气,三者害冷,四者害劳,五者害房,六者害妊,七者害睡。五伤者,一者穷孔痛,二者中寒热痛,三者小腹急牢痛,四者脏不仁,五者子门不正引背痛。三痼者,一者月水闭塞不通,其余二痼者,文阙不载。而张仲景所说三十六种疾,皆由字脏冷,热劳损而挾带下,起于阴内。条目混漫,与诸方不同,但仲景义最玄深,非愚浅能解,恐其文虽异,其义理实同也).
Dans le chapitre 3 du rouleau 4 du Beiji Qianjin Yaofang (备急千金要方), publié en 652, Sun Si-miao (孙思邈) traite lui aussi de ces trente-six maladies dans des termes quasiment équivalents. Les douze masses abdominales (zheng) et les neuf douleurs (tong) sont décrites de manière identique, par contre il y a des variations au niveau des sept endommagements (hai) et des cinq blessures. De plus les trois maladies fixes sont toutes inscrites. Ainsi, nous pouvons comparer et compléter ce qui était dit dans le Zhubing Yuanhou Lun. Sun Si-miao note :
« Qu'appelle-t-on les sept endommagements (hai) ? Le premier est la douleur du méat urinaire avec inhibition [des urines] ; le deuxième est la douleur dans [les organes génitaux] avec froid et chaleur ; le troisième est la douleur aigüe avec induration dans le bas-ventre ; le quatrième est l'insensibilité de l'utérus ; le cinquième est la non rectitude du col de l'utérus qui provoque des douleurs du dos ; le sixième ce sont les menstruations comme de l'eau de lessive, parfois abondantes, parfois en faible quantité ; le septième est l'endommagement par les vomissements. »
« Qu'appelle-t-on les cinq blessures (shang) ? La première est la douleur et la plénitude des deux régions thoraciques latérales ; la deuxième est la douleur du cœur qui irradie aux hypochondres ; la troisième est la nouure du qi avec blocage ; la quatrième ce sont les pensées perverses avec diarrhées ; la cinquième est le froid fixe au niveau des organes génitaux et de l'anus. »
« Qu'appelle-t-on les trois maladies fixes (gu) ? La première est la faiblesse et la maigreur avec manque d'engendrement des muscles et de la peau (ji fu 肌肤) ; la deuxième est la stérilité (jue chan ru) ; la troisième ce sont les aménorrhées avec obstruction ».
(何谓七害?一曰窍孔痛不利,二曰中寒热痛,三曰小腹急坚痛,四曰脏不仁,五曰子门不端引背痛,六曰月浣乍多乍少,七曰害吐。何谓五伤?一曰两胁支满痛,二曰心痛引胁,三曰气结不通,四曰邪思泄利,五曰前后痼寒。何谓三痼?一曰羸瘦不生肌肤,二曰绝产乳,三曰经水闭塞).
De plus, Sun Si-miao inscrit, juste à la suite du paragraphe ci-dessus, une formule générale qui traite ces trente-six maladies, avec les modifications nécessaires, en fonction des différentes maladies :
« Bai E Wan (白垩丸) est une formule qui traite les trente-six maladies de la femme. »
« Bai'e, longgu, shaoyao (chacun à 10 zhu [soit environ 6.5g]), huanglian, danggui, fuling, huangqin, qumai, bailian, shiwei, gancao, muli, xixin, fuzi, yuyuliang, baishizhi, renshen, wuzeigu, gaoben, ganpi , dahuang (chacun à ½ liang [soit environ 7.8g]). »
« Réduire les vingt-et-une herbes ci-dessus en poudre, les mélanger à du miel pour former des pilules de la taille d’une graine de parasol chinois (wutong 梧桐, Firmiana simplex) [c'est-à-dire environ 6 à 8 mm de diamètre]. Administrer 10 pilules à jeun, deux fois par jour, s'il n'y a pas [amélioration], alors on augmente [le nombre de pilules]. Après vingt jours il y a [une amélioration]. Après un mois les cent maladies sont éliminées. »
« S'il s'agit des douze masses abdominales (zheng 癥), alors on double muli, yuyuliang, wuzeigu, baishizhi, et longgu. »
« S'il s'agit des neuf douleurs (tong 痛), alors on double huanglian, bailian, gancao et danggui. »
« S'il s'agit des sept endommagements (hai 害), alors on double xixin, gaoben et ganpi, et on ajoute huajiao et wuzhuyu (chacun à 1 liang). »
« S'il s'agit des cinq blessures (shang 伤), alors double dahuang, shiwei et qumai. »
« S'il s'agit des trois maladies fixes (gu 痼), alors on double renshen et on ajoute chishizhi, baifan et bajitian (chacun à ½ liang). »
« Lorsque l'on combine les herbes il faut se conformer à la maladie pour faire les modifications. »
À première vue, certaines herbes ne paraissent pas être très indiquées pour le traitement de maladie gynécologiques, comme par exemple gaoben, xixin, dahuang, huangqin etc. En réalité, toutes ces herbes sont utilisées selon les indications données dans le Shennon Bencao Jing. Ainsi, elle ont toutes une action sur différents problèmes gynécologiques et/ou sur un ou plusieurs des différents symptômes et maladies qui sont mentionnés parmi les trente-six maladies : douleurs dans les organes génitaux, anurie, aménorrhées, masses abdominales (zheng jia 癥瘕), stérilité, etc .
Par exemple, gaoben est mentionnée dans les manuels universitaires modernes avec pour fonction de « disperser le vent-froid, éliminer le vent-humidité, et arrêter la douleur », il est indiqué pour traiter les céphalées du vertex lors d'un syndrome de surface avec vent-froid, et également pour traiter les syndromes d'obstruction (bi 痹) dus au vent et à l'humidité. Bien que ceci ne soit pas faux, c'est une présentation moderne, tronquée, de gaoben qui ne prend pas du tout en compte la manière dont il est décrit dans le Bencao Jing, où il est mentionné ceci :
« Gaoben est de saveur piquante, [sa nature] est tiède, et elle n'a pas de toxicité. Elle traite les maladies shan et les masses abdominales (jia 瘕) chez la femme, le froid, les tuméfactions et les douleurs à l'intérieur des organes génitaux (yin zhong) , les contractures (ji) dans l'abdomen, et elle chasse le vent [qui provoque] des céphalées (藁本味辛,温,无毒。主妇人疝瘕,阴中寒肿痛,腹中急,除风头痛) ».
Nous observons qu'effectivement gaoben traite les céphalées dues au vent, mais ses indications principales sont des pathologies gynécologiques. Ainsi, c'est probablement pourquoi le sage Sun Si-miao a choisi d'utiliser cette herbe dans cette formule à large spectre d'action sur les pathologies gynécologiques. De la même manière, qumai est utilisée fréquemment pour traiter les problèmes urinaires comme anuries, stranguries, dysuries, etc. pour lesquels elle est effectivement très efficace. Mais n'oublions pas que le Bencao Jing dit aussi :
« Elle détruit le fœtus et provoque l'avortement du bébé, et elle fait descendre le sang bloqué (bi xue) . (破胎堕子,下闭血). »
Ce qui indique que qumai a un fort aspect pour mettre en mouvement le sang, et surtout lorsque cela concerne l'aspect gynécologique.
L'herbe bai'e (白垩), dont le nom sert à nommer cette composition d'herbe pour former des pilules, correspond à la craie, cette roche sédimentaire calcaire blanche, à grain très fin, tendre, poreuse et perméable, assez pure, contenant presque exclusivement du carbonate de calcium CaCO3 et un peu d'argile. Elle a pour action de tiédir le centre, de réchauffer les reins, de resserrer les intestins, d'arrêter les hémorragies, et de refermer les plaies. Elle est utilisée pour traiter le reflux d'estomac (fan wei 反胃), les diarrhées, les spermatorrhées, les dysménorrhées, l'infertilité, les vomissements de sang, les selles hémorragiques, les épistaxis, les rougeurs et les ulcérations de la paupières, les ulcérations de la jambe, les miliaires avec démangeaison, etc. Dans le Shennong Bencao Jing il est dit que : « Bai'e est de saveur amère, [de nature] tiède, et elle n'a pas de toxicité. Elle traite chez la femme le froid et la chaleur, les masses abdominales (zheng jia 癥瘕), les aménorrhées, les masses accumulées (ji ju 积聚), les tuméfactions et les douleurs dans les organes génitaux, les métrorragies goutte à goutte (lou xia 漏下), et l'infertilité ». On constate que selon le Bencao Jing cette substance est presque exclusivement utilisée pour des aspects gynécologiques.
Zhang Lu (张璐) dans son commentaire du Qianjin Yaofang intitulé Qianjin Fang Yanyi (千金方衍义) inscrit :
« Cette formule [Bai E Wan (白垩丸)] prend le nom de [l'herbe] bai'e, que l'on prend pour tiédir le centre et augmenter le qi. Elle traite spécialement le froid et la chaleur, les masses abdominales (zheng jia), les aménorrhées, et les masses accumulées. Baishizhi traite les métrorragies abondantes et les métrorragies goutte à gouttes. Yuyuliang traite les aménorrhées et les masses abdominales (zheng jia). Longgu traite les métrorragies goutte à goutte, les masses abdominales (zheng jia) les nouures et les indurations. Muli traite les leucorrhées rouges et blanches. Pour ces cinq [produits] il s'agit des indications du Bencao Jing. Wuzeigu traite “ l'épuisement du qi, la blessure du foie, et les règles qui s'affaiblissent et deviennent peu abondantes et ne viennent plus (中气竭,肝伤,故月事衰少不来) ”. Ceci sont les indications du [chapitre 40 du] Suwen. »
« Gaoben, bailian et xixin dispersent spécialement l'attaque du vent par déficience en bas. Shiwei et Qumai éliminent spécialement la chaleur du sang qui obstrue le bas. Huangqin, huanglian et dahuang éliminent spécialement les masses accumulées (ji 积) et les stagnations à l'interne. Cependant sans renshen [cette formule] sera insuffisante pour aider la force [de la patiente]. Et sans fuzi elle sera insuffisante pour stimuler sa puissance. [Cette formule] n'associe pas seulement la tonification et la dispersion, et l'utilisation simultanée [des herbes] froides et chaudes, mais elle acquiert profondément l'intention subtile de Zhang Zhong-jing. Et on combine cela en prenant des produits astringents (se 涩), afin de calmer les séquelles des blessures et des mutilations, ainsi les douleurs cessent, l'endommagement est équilibré, et le qi et le sang se rétablissent progressivement, [les herbes] danggui, shaoyao, huangqin, gancao et ganpi permettent cela. »
Cette formule peut être utilisée pour traiter de nombreux troubles gynécologiques observés couramment en cabinet. Il faudra la modifier en se conformant aux manifestations symptomatiques, afin de cibler au mieux le ou les troubles présentés par la patiente.
Le fait que cette formule soit administrée sous forme de pilules (wan 丸), confectionnées avec du miel, a aussi sa signification.
Le Zazhu Bencao (杂注本草) dit : « [Pour une maladie] qui a duré quatre-vingt jours, a pénétré aux organes et aux entrailles, il est approprié d'administrer des pilules (wan 丸) ». Et dans le cas de la présence d'une de ces trente-six maladies gynécologiques, la maladie a déjà effectivement profondément pénétré aux organes et aux entrailles. Les pathologies gynécologiques sont pour la plupart en relation avec les méridiens de shaoyin et de jueyin, donc déjà très en rapport avec l'aspect le plus yin de la personne. Ainsi, les pilules sont adaptées.
Li Dong-yuan dans le Yongyao Faxiang (用药法象) dit : « Les pilules (wan 丸) “ relâchent / modèrent / agissent lentement (huan 缓) ”, elles ne peuvent pas chasser rapidement [les maladies], c'est une utilisation relâchée et lente des herbes pour traiter ». Dans le Bencao Mengquan (本草蒙筌) Chen Jia-mo (陈嘉谟) dit : « Les pilules (wan 丸) sont formées de boulettes rondes. Pour traiter les maladies du foyer inférieur, elles doivent être grandes comme une graine de parasol chinois (wutong 梧桐, Firmiana simplex) [c'est-à-dire environ 6 à 8 mm de diamètre]. Pour traiter les maladie du foyer moyen, elles doivent être grandes comme un grain de soja vert (lüdou 菉豆, vigna radiata) [c'est-à-dire environ 3 à 4 mm de diamètre]. Pour traiter les maladies du foyer supérieur, elles doivent être grandes comme un grain de riz (mi li 米粒) [c'est-à-dire environ 1 à 2 mm de diamètre]. Comme la maladie ne peut pas être éliminée rapidement, on prend l'action [des pilules] de relâcher et d'expulser lentement en tourbillonnant. C'est pourquoi il est dit : les pilules “ relâchent / modèrent / agissent lentement ” (wan zhe huan ye 丸者缓也) ». Et nous constatons que Sun Si-miao inscrit exactement de préparer des pilules de la taille de graines de parasol chinois [6 à 8 mm de diamètre], afin d'aller cibler les méridiens shaoyin et jueyin dans les profondeurs du foyer inférieur.
De plus, les pilules sont faciles à préparer. On peut préparer à l'avance une grande quantité de pilules pour une longue périodes, alors que les décoctions doivent être préparées tous les jours, ou au minimum tous les quatre jours. Les pilules sont également très faciles à administrer, faciles à stocker, et faciles à transporter. Ce qui facilite la prise du remède sur une longue période, ici au moins un mois, sans que la patiente ne soit découragée par la longueur du traitement, ou par le goût parfois prononcé des décoctions d'herbes.
*
* *
Institut Liang Shen de Médecine Chinoise
Boulevard de la Tour , 4
1205 Genève