Aspects des mouvements de la formule Guizhi Tang de Zang Zhong-jing
avec cas cliniques exemplaires.
Par Baptiste Deneuve
"La formule Guizhi Tang est « La cheffe de file des formules de Zhong-Jing(1)» ; elle nous a été transmise dans son livre, le Shanghan Za Bing Lun, écrit vers 200 après JC. La version originelle de ce grand classique de la médecine chinoise ayant été perdue, son contenu nous est parvenu sous la forme de deux œuvres : le Shanghan Lun et le Jinkui Yao Lüe.
Guizhi Tang est la première formule inscrite dans le Shanghan Lun. Elle est la première formule du premier grand méridien étudié, le taiyang, représentant à lui seul pas loin de la moitié de l’ouvrage ! Elle a 31 occurrences dans les 6 chapitres consacrés à la différenciation des syndromes des grands méridiens et apparait dans 4 d’entre eux. Ce qui fait d’elle la formule de loin la plus citée par Zhang Zhong-Jing.
Dans cet article nous essaierons dans un premier temps de mieux comprendre l’importance de cette formule, puis nous l’illustrerons par deux cas cliniques de grands professeurs.
Dans le Shanghan Lun on trouve :
« Lors d’une maladie de taiyang, le pouls est superficiel (fu), il y a céphalée avec raideur de la nuque et crainte du froid. » (Article 1)
« Une maladie de taiyang avec fièvre, transpiration, crainte du vent et pouls relâché (huan) s’appelle une atteinte du vent. » (Article 2)
« Atteinte du vent sur taiyang, le yang est superficiel (fu) et le yin est faible (ruo). Le yang est superficiel, alors la fièvre monte d’elle-même ; le yin est faible, alors la sueur sort d’elle-même. Il y a crainte du froid, crainte du vent, fièvre, nez bruyant et vomissement : traiter avec Guizhi Tang.
Guizhi 3 liang, enlever la peau, shaoyao(2) 3 liang, zhi gancao 2 liang, shengjiang 3 liang, tranché, dazao 12 fruits, ouvrir. » (Article 12)
C’est la première apparition de Guizhi Tang, ici elle est associée à une atteinte de vent sur la surface de taiyang. C’est ce qui lui vaut aujourd’hui d’être classée dans les formules qui libère la surface du vent froid. Elle est donnée dans les cas d’atteinte externe par le vent froid avec prédominance de vent et surtout sur un terrain de vide préexistant, d’où le « pouls relâché (huan) » et « le yin est faible (ruo) », ici le yin désigne le niveau profond du pouls.
En gardant les mêmes proportions que dans le Shanghan Lun transposées dans une posologie actuelle, sa composition est : guizhi 9g, baishaoyao 9g, zhi gancao 6g, shengjiang 9g et dazao 3 fruits.
« Si le malade a souvent une transpiration spontanée, c’est le rong qi qui est harmonieux. Le rong qi est harmonieux mais il ne l’est pas à l’extérieur, cela est dû à une disharmonie du wei qi avec le rong qi. Pour que le rong circule dans les méridiens, que le wei circule hors des méridiens, on le fait de nouveau transpirer, le rong et le wei s’harmonisant il y a guérison, Guizhi Tang est appropriée. » (Article 53)
C’est ce que l’on appelle souvent une dysharmonie du ying et du wei. Le ying qi étant avec le temps devenu un synonyme de rong qi. C’est précisément cette notion qui fait de Guizhi Tang une formule si importante.
Le caractère du mot rong est 荣, il signifie "prospérer, fleurir" (au propre comme au figuré). Alors que wei 卫, signifie "garder, protéger". L’un est un mouvement d’ouverture et l’autre de fermeture. Ils sont l’expression du yin et du yang.
A ce sujet Peng Zi-Yi(3) dit :
« Dans l’univers, le grand qi, qui en recevant le mélange des forces de pression et d’expansion forme un mouvement cyclique, comprend en lui une action d’ouverture et de fermeture. D’ouverture donc de drainage et d’évacuation (疏泄 shu xie), de fermeture donc de rassemblement et de maintien (收敛 shou lian).
Dans le corps humain, le qi, qui sous l’influence du mélange du yin yang forme un mouvement cyclique, comprend en lui une action d’ouverture et de fermeture. D’ouverture donc de drainage et d’évacuation, de fermeture donc de rassemblement et de maintien. Drainage et évacuation donnent la fièvre, rassemblement et maintien donne la crainte du froid. Drainage et évacuation se nomme rong (荣), rassemblement et maintien se nomme wei (卫). Le drainage et l’évacuation sont le qi du bois et du feu. Le rassemblement et le maintien sont le qi du métal et de l’eau. Le qi du bois et du feu va de l’intérieur vers l’extérieur, il possède le sens de "fleurir" (发荣), c’est pourquoi on l’appelle rong (荣). Le qi du métal et de l’eau va de l’extérieur vers l’intérieur, il possède le sens de "défendre" (护卫), c’est pourquoi on l’appelle wei (卫).
Rong wei est l’appellation du qi qui se déplace dans tout le corps, en dehors des organes et entrailles, de manière cyclique. Quand le tout, formé par le mouvement cyclique, se sépare, cela entraine ou une maladie du rong si le drainage évacuation tend à paraitre, ou une maladie du Wei si le maintien rassemblement tend à paraitre. Séparés ils retournent à l’union, le rong et le wei s’alternent, le mouvement cyclique redevient un tout, alors il y a transpiration et guérison.
[…]
[Guizhi Tang] traite le syndrome de surface du rong et du wei, c’est la méthode pour la maladie qui tend vers le drainage évacuation. Le vent est le qi du drainage évacuation dans l’atmosphère. Le rong est le qi du drainage évacuation dans le corps humain. Le drainage évacuation entraine la fièvre et la crainte du vent. Le drainage évacuation entraine la transpiration. »
Le vent est le qi du bois de jueyin. S’il atteint la surface, territoire du taiyang, il va exacerber le rong et blesser le wei, entrainant leur dysharmonie. Il y aura alors transpiration spontanée.
Comme à son habitude, Zhang Zhong-Jing ne le précise pas dans l’article 53 cité plus haut : que le vent soit d’origine interne ou externe, Guizhi Tang est appropriée.
- Gancao est douce et équilibrée, elle est le produit de la terre par excellence. Elle agit donc sur le centre et comprend en elle toutes les autres directions.
- Dazao est aussi un produit du centre. Equilibrée, il est dit dans le Shen Nong Bencao Jing qu’elle « nourrit la rate », « équilibre le qi de l’estomac » et « calme le centre ». Elle a donc une fonction de nutrition et de régularisation du foyer moyen.
- Shengjiang piquante et tiède, réchauffe et met en mouvement. C’est un produit yang. Dazao calme et nourrit, c’est un produit yin. Ensembles ils harmonisent le yin et le yang du foyer moyen.
Baishaoyao est aujourd’hui donnée de saveur douce, acide et amère, et de nature fraiche. Elle rassemble et fait descendre, ce qui correspond au qi du métal.
Guizhi est de saveur douce et piquante, sa nature est tiède. Elle élève et diffuse, ce qui correspond au qi du bois. Avec baishaoyao elles s’équilibrent et harmonisent le rong et le wei.
Voyons maintenant deux cas cliniques illustrant l’étendue du champ d’application de Guizhi Tang :
1.Cas de Ren Ji-Xue(4) tiré du « Journal de médecine traditionnelle chinoise du Jiangxi », 1988. (« 江西中医药 ») :
« Une certaine Mme Wu, 63 ans. Le 21 novembre 1987 elle se lève à l’aube et sort pour aller courir et s’entrainer, elle transpire et se découvre, au soir elle a des vertiges et une céphalée, le nez bouché avec des écoulements, de la toux avec la gorge qui gratte, le corps douloureux, un inconfort des articulations des membres, quand elle s’active la transpiration du corps veut sortir mais n’y parvient pas, son teint n’est pas rouge, les lèvres sont rouges et humides, la langue est rose, le pharynx n’est pas rouge, l’enduit est mince blanc et humide, la peau de la face interne de l’avant-bras est légèrement chaude, le pouls est profond (chen), relâché (huan) et sans force (wuli). La maladie est apparue deux jours avant [le terme solaire(5)] "Petite neige (xiao xue 小雪)"(6), c’est exactement le début du dernier qi (zhong zhi qi 终之气)(7) , c’est le moment de la succession et de la transformation , et pourtant le climat est chaud, c’est donc une maladie de tiédeur, on traite avec le salé pour tonifier, le doux pour purger et l’acide pour rassembler(8).
Guizhi 15g, shaoyao 10g, gancao 5g, shengjiang 3 tranches, dazao 3 fruits.
Après la prise, boire une soupe de riz chaude pour augmenter la force des produits. Après une dose il y a guérison. »
Commentaire : Il s’agit d’un syndrome de vent tiédeur au stade initial, l’atteinte externe par le vent chaleur est possible en raison d’un vide du correct (zheng 正) préexistant. Il est dit dans le Wenbing Tiao Bian (温病条辨- Articles sur la différenciation des maladies dues à la tiédeur) : « Dans les maladies de taiyin dues au vent tiédeur, à la tiédeur-chaleur, à la tiédeur épidémique ou à la tiédeur hivernale, si au stade initial il y a aversion pour le vent froid, on traite avec Guizhi Tang. », puis Wu Tang explique « Dans les maladies de tiédeur on s’abstient de faire la sudorification, on préfère libérer les muscles (jieji 解肌), or le fondement de Guizhi Tang est de libérer les muscles, guizhi est aromatique et transforme le trouble, shaoyao rassemble le Yin et retient la transpiration, gancao neutralise le toxique et harmonise le centre, [sheng]jiang et [da]zao harmonisent le ying et le wei, on peut l’utiliser au début des maladies de tiédeur. »
Dans l’expérience de Mr Ren, Guizhi Tang est utile dans les atteintes externes sur vide du correct, qu’elles soient dues au vent froid ou au vent chaleur. En pratique il l’utilise souvent, avec de bons résultats, pour traiter les atteintes externes au printemps et en hiver.
2 .Cas de Liu Du-Zhou (9) tiré de « Revue de médecine chinoise du Hubei », 1992. (« 湖北中医杂志 ») :
« Un certain Mr Liu, 18 ans. Marié tôt, craintif de nature, six mois après le mariage apparait courbature lombaire et mollesse des jambes, vertiges et acouphènes, urines fréquentes et courtes, crainte du froid comme s’il était sous la pluie, il a une sensation de froid et d’engourdissement dans les membres inférieurs, même en les enveloppant dans un manteau durant les jours chauds de l’été il ressent encore le froid dans les jambes. Le mouvement le fait transpirer, il a un petit appétit et de la distension abdominale ainsi qu’une saveur douceâtre dans la bouche. Il fait beaucoup de rêves la nuit et est facilement ému en pensant aux femmes (思色欲动). Sa constitution physique déclinant avec les jours il a pris renshen et lurong pour tonifier, mais sans résultat. Au jour de l’examen il y a : maigreur et nervosité, teint fané et shen affaiblit, voie faible, les pouls de chaque côté sont profonds (chen), fins (xi) et faibles (ruo), la langue est rouge claire avec peu d’enduit. En consultant le pouls et les signes réunis, on comprend que la cause de cette maladie est l’excès de rapport sexuel qui a consumer le qi et blessé le jing, conduisant à une perte d’harmonie entre les fonctions des organes et entrailles, et à un affaiblissement du yin et du yang. La logique voudrait que je tonifie le rein pour renforcer la racine, mais à la vue de l’absence de résultat dans l’utilisation de renshen et lurong par les médecins précédents, pour le moment je commence par harmoniser le Yin et le Yang avec Gui zhi Tang.
Guizhi 15g, baishao 15g, zhi gancao 6g, shengjiang 6g, dazao 10 fruits. 5 doses.
Après le traitement tous les symptômes ont fortement diminués, mais comme la maladie est de type amoindrissement par vide elle peut difficilement guérir rapidement : je continu de lui donner la formule ci-dessus augmenté de huai shanyao 15g, chao baizhu 12g et jineijin 10g pour tonifier le ciel postérieur, en même temps j’ajoute la prise de Gui Fu Ba Wei Wan pour tonifier le qi des reins. Quinze jours plus tard il m’informe qu’il est vigoureux, son appétit est augmenté, toute la maladie est éliminée. »
Commentaire : Dans ce cas, la dysharmonie du yin et du yang empêche les produits toniques d’être assimilés, le professeur Liu commence donc par rétablir l’harmonie avec 5 doses de Guizhi Tang, puis il ajoute des produits « pour tonifier le ciel postérieur » selon la méthode de "renforcer le ciel postérieur pour nourrir le ciel antérieur". Cela permet aux pilules de Gui Fu Ba Wei Wan d’être plus efficace dans la tonification du yin et du yang de rein.
Guizhi Tang traite donc bien plus que les atteintes de vent froid sur le biao taiyang. La compréhension de l’article 53 du Shanghan Lun permet à Liu Du-Zhou de résoudre une situation avancée de vide de yin et de yang. Le pouvoir harmonisant de Guizhi Tang, son équilibre dans les mouvements de montée, descente, sortie et entrée, lui vaut de servir de base à de nombreuses formules du Shanghan Lun. Elle traverse toute l’œuvre de Zhang Zhong-Jing comme un fil conducteur. Après tout, le taiyang (et donc le dos) ne structure-t-il pas toute notre posture en nous permettant de trouver notre verticalité ? Et ne trouve-t-on pas le long de son méridien l’expression de tous les organes et entrailles du corps dans les points shu du dos ?"
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Notes :
(1) « 仲景群方之冠 ». Expression empruntée à Ke Yun-Bo (1662-1735) dans son livre "Shanghan Lai Su Ji" à propos de Guizhi Tang.
(2) Aujourd’hui on utilise baishaoyao.
(3) Peng Zi-Yi (1871-1949), citation extraite du livre « Yuan Yun Dong De Gu Zhong Yi Xue » (圆运动的古中医学).
(4) Ren Ji-Xue (任继学) 1926-2010.
(5) Depuis environ 200 ans avant JC, les anciens chinois divisent l’année en 24 termes solaire (jieqi 节气), à raison d’un terme tous les 15 jours environ. "Petite neige" est le vingtième terme solaire.
(6) L’année est aussi divisée en 6 qi, comprenant chacun 4 termes solaire, "Petite neige" marque l’entrée dans le sixième et dernier qi pendant lequel c’est "l’eau froide de taiyang" qui gouverne, le climat est donc sensé être froid.
(7) Le passage du cinquième qi au dernier qi.
(8) Ici Ren Ji-xue fait référence à une phrase du Suwen, au chapitre Zhi Zhen Yao Da Lun : « Quand l’invité est le shaoyin (少阴之客), on utilise le salé pour tonifier, le doux pour purger et l’acide pour rassembler. » Or le 21/11/1987 se situe deux jours avant le passage au dernier qi qui, pour cette année-là, a pour invité le feu empereur de shaoyin, et, comme chaque année, a pour hôte l’eau froide de taiyang.
(9) Liu Du-Zhou (刘渡舟), 1917-2001, grand spécialiste du Shanghan Lun.
Institut Liang Shen de Médecine Chinoise
Boulevard de la Tour , 4
1205 Genève